Visite du camp de réfugié.e.s de Moria sur l’île de Lesbos en Grèce

3 juillet 2018

Ghislaine Tandonnet Guiran, Déléguée Générale de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici, a participé à une mission menée par Human Rights Watch à Athènes et au camp de Moria, sur l’île de Lesbos, du 5 au 8 mai 2018.

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Des conditions de vie difficiles pour les demandeurs d’asiles

Depuis le début des années 2000, la Grèce est le point d’entrée principal pour les réfugié.e.s, les demandeurs.deuses d’asile et les migrant.e.s en quête de sécurité dans l’Union européenne (UE). En 2015, près d’un million de demandeurs.deuses d’asile, provenant principalement de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan,ont traversé la Turquie en direction des îles grecques. Bien que ce nombre ait diminué depuis mars 2016, lorsque l’UE a signé un accord avec la Turquie pour endiguer les flux migratoires vers l’Europe, les conditions pour les femmes, hommes et enfants demandeurs d’asile dans les îles grecques n’ont fait qu’empirer.

Pour mener à bien l’accord européen signé avec la Turquie, les autorités grecques, avec le soutien de l’Union Européenne et de ses États membres, ont mis en place une politique d’endiguement dans les îles, destinée à empêcher les demandeurs.deuses d’asile de se déplacer vers le continent et au-delà, et pour permettre des retours forcés en Turquie. Alors que la déclaration UE-Turquie n’exige pas explicitement le maintien des demandeurs.deuses d’asile sur les îles, les responsables de l’UE et de la Grèce citent la mise en œuvre de l’accord comme une justification de la politique d’endiguement. À moins que et jusqu’à ce qu’un demandeur.deuse d’asile ne soit admis dans le système d’asile grec et ne soit autorisé à présenter une demande formelle, il doit rester sur les îles ; cinq îles sont concernées (Lesbos, Chios, Samos, Kos et Leros). La politique d’endiguement a entraîné d’importantes tensions sur les îles, en plus de la détérioration des conditions de vie. La capacité maximale des installations hotspots, financées par l’Union Européenne, sur les cinq îles principales recevant demandeurs.deuses d’asile et migrant.e.s est toujours de 6 338 alors que le nombre total de personnes vivant dans ces installations est de plus de 13 000. Le nombre total de personnes sur les îles était de 14 822 à la mi-avril et est de 16 800 à la fin mai. Des manifestations de résidents locaux et des incidents xénophobes semblent être à la hausse. Environ 61 000 migrant.e.s et demandeurs.deuses d’asile sont bloqué.e.s à travers le pays.


Le campa de Moria, un lieu d’accueil surpeuplé

le camp de moria

Le camp a été installé en 2011 sur un ancien site militaire. Du fait de la surpopulation, une extension a été faite à proximité mais sans aménagements adéquats. Le camp est géré par le gouvernement grec, la sécurité assurée par la police grecque. La coordination des activités est faite par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), avec un certain nombre d’associations autorisées à intervenir dans le camp (sélectionnées sur appels à projets) dont la plus présente est EuroRelief,une ONG grecque fondée par des Mormons. D’autres associations développent des initiatives en dehors du camp. Et un nombre important de personnes viennent également apporter un support en tant « qu’indépendants », notamment des jeunes juristes.

Le camp s’étale sur 48 km2. Durant notre visite, il accueillait 7 352 migrant.e.s (29% de mineur.e.s, 22% de femmes, 49% d’hommes) ; environ 1 500 enfants dont 159 enfants non accompagnés ; 58 nationalités. La capacité d’accueil est de 3 000 personnes. Le camp est donc surpeuplé, avec toujours des entrants et peu de départs (depuis le début de l’année, seulement 250 « retours » vers la Turquie). Si l’on compare à période équivalente par rapport à 2017, c’est 4 fois plus de personnes qui sont arrivées sur la période janvier-avril. La situation la plus courante correspond à une famille avec enfants.

Il y des zones réservées pour les personnes les plus vulnérables : une zone familles vulnérables (notamment parents isolés), une zone femmes seules (actuellement 299 femmes pour une capacité d’accueil de 80),une zone enfants (moins de 18 ans) non accompagnés. La sécurité est assurée par la force de police grecque.

Celles et ceux qui arrivent maintenant sur l’île (encore 200 à 250 arrivées par jour) sont amené.e.s sur un autre camp, plus au nord de l’île avant d’être transféré.e.s à Moria. Des espaces sont recherchés pour agrandir le camp ; mais dans le cadre légal actuel, il n’est pas possible de louer d’autres espaces à proximité. Seul un espace a pu être aménagé, avec le soutien de MSF.


Association Human Right Watch : sa mission dans le camp de Moria

équipe human right watch

L’équipe de l’association Human Right Watch

Eva Cossé, chercheuse pour les droits humains en Europe occidentale, est particulièrement impliquée sur le terrain, et mène régulièrement des missions dans les différents camps en Grèce. Les missions consistent à recueillir des données à partir d’observations de terrain et d’entretiens avec des femmes, des hommes et des enfants demandeurs d’asile, ainsi qu’avec des associations impliquées sur place et des activistes locaux. Il s’agit de mieux comprendre la situation et le traitement des demandeurs.deuses d’asile et des migrant.e.s, en mettant l’accent sur les groupes vulnérables qui sont pris au piège dans les îles grecques, afin de porter ces données à connaissance des décideurs politiques.

Un travail spécifique sur la situation des femmes et des filles a été mené en novembre 2017 : 25 femmes et filles en quête d’asile ont été interrogées, certaines d’entre elles jeunes de 13 ans, vivant dans le «hotspot » de Moria à Lesbos. Human Rights Watch a constaté que leurs mauvaises conditions de vie étaient dues à une sécurité insuffisante, aux mauvaises installations d’hygiènes et sanitaires, et aux échecs du système pour identifier et répondre aux besoins des personnes vulnérables.

Des missions sont ainsi fréquemment menées sur ce camp par Human Rights Watch. La mission réalisée en mai avait pour but d’évaluer l’évolution de la situation, dans un contexte où des problèmes de cohabitation avec la population locale commencent à émerger. Un certain nombre d’entretiens ont pu être menés avec des migrant.e.s par la chercheuse, auxquels le groupe a pu assister en partie. La situation des femmes et des jeunes filles reste très difficile, avec globalement un harcèlement et un sentiment d’insécurité permanent au camp, de mauvaises conditions sanitaires, de grosses difficultés d’accès à des soins dont les soins psychologiques.


Soutenir les plus vulnérables : des initiatives engagées

Un certain nombre d’initiatives de soutien aux migrant.e.s nous ont été présentées, à Athènes et autour du camp de Moria. Ces initiatives sont portées par des équipes engagées et dévouées à la cause des personnes qu’elles aident ; de très belles initiatives qui sont autant de gouttes dans la mer qui permettent de transformer la vie des personnes soutenues, les aidant entre autres à se débarrasser de leur statut de réfugié et de victime pour redevenir des personnes avec un avenir.

Les Projets visités

The Home Projects, Athènes

Le projet a démarré il y a un an afin de créer des maisons d’accueil pour des enfants non accompagnés (principales origines : Afghanistan, Syrie, Pakistan ..) ; à noter qu’il y a environ 3 500 enfants non accompagnés en Grèce pour 1 000 places disponibles dans des centres d’accueil. Le nombre d’enfants non accompagnés augmente fortement chez les migrants : auparavant un enfant sur 3, maintenant un sur 2. En raison du manque d’espaces d’accueil disponibles, les autorités grecques détiennent fréquemment sous des conditions déplorables et dangereuses des enfants en attente de placement dans un centre. L’objectif du projet est d’une part de changer le contexte normatif et d’autre part d’aménager des bâtiments non utilisés pour les convertir en maison d’accueil ; un accord est passé avec des propriétaires de bâtiments pour la rénovation gratuite et l’utilisation des lieux pour quelques années, dans un contexte de crise immobilière.

Le projet inclut l’aménagement de 11 sites sur Athènes, dont 2 dédiés à l’accueil des filles – dont celui visité. Il s’agit de proposer un modèle complet d’intégration. On répond aux services essentiels (hébergement, nourriture, éducation, accompagnement social et psychologique, insertion professionnelle) ; des cours de langues sont donnés et des accords sont passés avec des écoles pour la scolarisation des enfants (Youth to Youth).

Le centre visité accueille 16 enfants dans ce centre dont 2 filles mères ; 220 enfants en tout sont pris en charge sur les 11 centres. 50% du personnel vient d’activités de terrain en lien avec les réfugiés. Il y a également un projet de construction d’école en septembre prochain. L’objectif est d’aider les enfants à devenir autonomes : le centre est comme une école de la deuxième chance et les enfants qui passent par le centre en ressortent tous transformés. Tous les enfants qui arrivent au centre parlent anglais en 3 ou 4 mois. La priorité pour 2018 est d’améliorer la prise en charge des maladies mentales qui devient de plus en en plus préoccupante.


Le City Plaza, Ahtènes

Le City Plaza est un centre d’hébergement ouvert aux populations vulnérables, plus particulièrement aux demandeurs d’asile, migrants, et réfugiés, qui est géré de manière communautaire. Il a été ouvert en 2016, en tirant parti d’un hôtel inoccupé et désaffecté dans un quartier populaire d’Athènes (hôtel de 7 étages, 100 chambres). La société en charge de l’hôtel avait fait faillite ; le personnel, n’ayant pas été payé, avait le droit de prendre les meubles mais ils ont choisi de les laisser aux occupants. En retour, les profits de certains événements réalisés par le centre sont reversés aux anciens membres du personnel.

400 personnes occupent ce lieu, majoritairement des familles (deux-tiers des occupants, avec 120 enfants) ; depuis son ouverture, ce sont environ 2 200 personnes qui ont été hébergées. Les principales nationalités sont : Syrie, Kurdistan, Irak, Pakistan, Afghanistan, Congo RDC, Nigéria, Liban, Maroc, Ouganda, Algérie, Iran, Somalie.

Tous les services essentiels sont fournis, à titre gratuit ; 800 repas par jour sont servis, préparés collectivement. Le projet permet de démontrer qu’il y a des solutions d’hébergement collectif faisables en solution alternative aux camps, à un coût nettement inférieur. Les estimations faites par les personnes en charge du collectif estiment que le différentiel de coût est de 1 à 10, notamment du fait que les camps étant situés dans des zones isolées, l’alimentation et l’équipement des personnes coûte très cher. Le coût estimé pour l’alimentation dans le centre est de 1€ par personne, par jour. Des comptes sont rendus chaque année aux donateurs. Un compte en banque est ouvert (statut associatif). Le centre est auto-géré ; une assemblée se réunit toutes les deux semaines pour des discussions et prises de décision. Des règles communes ont été définies ; en cas de manquement aux règles à répétition (3 fois), une personne est éjectée. Il y a une politique de protection des droits des enfants très stricte. Tous les habitants doivent participer aux activités communes au moins une fois par semaine. Une centaine de volontaires du monde entier est impliquée au quotidien du Centre ; le Centre fait partie d’un réseau international de communautés et projets similaires en termes d’engagement social (grassroots organizations).

Le Centre a mis en place un certain nombre d’activités, gérées par les habitant.e.s, et mobilisant des intervenants extérieurs (volontaires). Il y a notamment un groupe en charge de faire respecter les questions liées au genre ; un gros effort de sensibilisation sur cette question est fait de manière transversale (ce qui se voit dans les différents affichages visibles sur le site).


Centre Bashira, Lesbos

C’est un centre d’accueil réservé aux femmes, en priorité aux femmes hébergées sur le camp de Moria. Le Centre a été ouvert sur une initiative privée d’une personne en vacances sur l’île à partir du constat de manque d’infrastructures adaptées pour les femmes. Le camp Moria dispose d’une zone dédiée aux femmes mais largement insuffisante ; cette zone accueille actuellement 290 femmes pour une capacité d’accueil de 80.

Le développement s’est fait dans un premier temps dans le cadre d’une structure associative suisse, puis une association grecque a été mise en place. Le Centre a été ouvert en août 2016 ; un autre est en cours d’ouverture sur Athènes. Le Centre fonctionne en interaction avec le centre civique Lesvos Mosaik, à proximité, qui offre une palette de services et de formations aux réfugiés (et aux locaux) ; les hommes peuvent ainsi aller au centre Mosaik lorsque les femmes viennent au centre Bashira. Le Centre offre un espace de tranquillité aux femmes, où elles peuvent venir se reposer, parler, prendre une douche de 30 minutes, très important vu le surpeuplement et les conditions d’hygiènes sur le camp, s’informer sur leurs droits, prier mais aussi recevoir des informations légales, et une aide juridique, ainsi que des services psycho-sociaux en coopération avec d’autres organisations.

Le Centre reçoit en moyenne 100 femmes par jour ; il se fait connaître de bouche à oreille. Médecins Sans Frontières est partenaire, notamment pour un accompagnement sur les cas de violence sexuelle (gender-based violence, domestic violence). Le personnel est composé de deux employés et de trois volontaires. Une attention particulière est à porter aux femmes âgées, qui sont invisibles dans le camp (elles restent sous les tentes).


Community Center Pikpa, Lesbos

C’est un ancien centre de vacances qui a été repris par l’association Lesbos Solidarity afin de proposer un hébergement destiné aux plus vulnérables bloqués sur l’île de Lesbos, notamment les personnes en situation de handicap, avec des problèmes de santé mentale, les rescapés des naufrages… Le centre a été ouvert en 2012 après une première vague de réfugiés, qui restaient sur le port pendant l’hiver. La municipalité a donné les clés du centre à l’association pour les accueillir, après une attaque par des groupes extrémistes. L’association Lesbos Solidarity a été officiellement créée en 2015 ; auparavant c’était un mouvement citoyen non formalisé (grassroots organisation).

Un accompagnement complet est proposé, incluant l’assistance pour rapatrier les corps des personnes décédées lors des naufrages. Le centre inclut un centre médical, deux garderies, un jardin potager. Une école vient d’être ouverte pour les plus petits qui accueille à la fois des enfants du village et des enfants des familles de réfugiés hébergées. Une partie significative du budget est liée aux soins médicaux étant donné que le centre prend en charge tous les soins y compris l’hospitalisation si nécessaire. Les familles sont approvisionnées en produits frais (un panier de provisions distribué 3 fois par semaine). L’équipe comprend 15 personnes en poste et 20 volontaires.

Pendant notre visite 103 personnes étaient accueillies. Désormais, suite à la situation explosive dans le camp de Moria, le weekend du vendredi 25 mai, plus de 900 réfugié.e.s ont fui le camp, dont 350 personnes, la plupart des familles avec enfants, ont trouvé refuge à PIKPA. L’identification des personnes est faite avec le UNHCR dans le cadre des réunions hebdomadaires. La montée des maladies mentales est significative et difficile à prendre en charge sans avoir de services spécialisés (mise en danger des autres personnes). Une psychanalyste est en poste depuis Novembre dernier ; il s’agit de prendre en charge non seulement le PTSD et PTCSD (stress post traumatique) mais également toutes les autres problématiques notamment celles liées aux violences sexuelles ainsi qu’aux traumatismes liés au voyage et aux conditions d’accueil (notamment au camp de Moria). Il est important de noter que tous ces services manquent d’appui des structures officielles. La prise en charge peut être complexifiée pour certaines cultures ; dans les cultures arabiques, une maladie mentale est directement associée à la folie. L’interprète joue un rôle particulièrement important dans l’échange, il doit être impliqué à part entière ; la thérapie est en fait organisée autour du triangle patient/soignant/interprète (et non uniquement structurée autour de la relation patient/soignant). Un kit de formation spécifique pour l’accompagnement psychologique dans ce type de situation vient d’être développé et est utilisé par la soignante.

Une extension du centre est en cours, avec de nouvelles maisons en construction grâce au soutien de Médecins Sans Frontières.


One Happy Family Community Center, Lesbos

Il s’agit d’un centre récupéré par une association suisse, pour un accueil pendant la journée de la population de réfugié.e.s qui se trouve sur l’île, notamment dans le camp de Moria. Le lieu a été identifié dans le cadre d’une phase de repérage de lieux exploitables ; il a été ouvert il y a un an. Le principe est que le site est aménagé et animé par les réfugié.e.s eux-mêmes. Il peut accueillir jusqu’à 1,200 personnes par jour, sur une surface relativement restreinte ; 800 repas sont servis chaque jour, plus 200 pour les enfants de l’école. L’école est une organisation à part, développée par une association d’Israël.

Des activités sont proposées tous les jours, incluant des travaux de jardinage sur le jardin potager. Un bibliobus est à disposition. Un espace dédié aux femmes est installé, avec des activités dédiées.

Une autre belle initiative qui permet aux réfugiés, dont enfants et jeunes, d’échapper de la réalité dure du camp de Moria, de nouer des relations et de ses projeter sur un avenir.

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