A l'occasion des élections européennes, Sophie Pouget, membre du comité directeur de Alliance for Gender Equality in Europe et déléguée générale de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici, a rappelé dans une tribune publiée sur Euronews les conséquences du vote sur les droits et libertés.
À l’ordre du jour des élections européennes : l’égalité.
Si vous étiez seul(e) en forêt, préféreriez-vous rencontrer un ours ou un homme ?
Cette récente tendance sur TikTok a ravivé un débat crucial sur la sécurité des femmes. En effet, presque toutes les femmes sur la plateforme, ainsi que sur X (anciennement Twitter) et Instagram, ont choisi l’énorme animal sauvage.
Leurs réponses ne sont guère surprenantes. Partout en Europe, en ligne comme hors ligne, les femmes sont confrontées à la violence. Certaines sont traquées, d’autres harcelées, certaines encore agressées. Le problème est si ancré et répandu à travers l’UE qu’une femme sur trois a subi une forme de violence sexuelle ou physique.
La violence à l’égard les femmes n’est pas simplement l’œuvre de « quelques pommes pourries » — c’est un problème qui nécessite des solutions systémiques.
Bien que ce discours viral ne tienne pas compte du fait que la majorité des violences sont perpétrées par des partenaires intimes, il est indéniable que, dans l’ombre des confinements pandémiques, les cas de violences domestiques ont fortement augmenté. En France, par exemple, plus de 100 femmes sont tuées chaque année par leur partenaire ou ex-partenaire, tandis qu’un viol ou une tentative de viol se produit toutes les 2,5 minutes.
Les femmes LBTIQ, les femmes en situation de handicap et les femmes migrantes se trouvent davantage en danger. Une étude récente a révélé que les femmes migrantes en France sont 9 fois plus exposées à la violence sexuelle et 18 fois plus susceptibles d’être victimes d’un viol.
Il y a tout de mêmes de bonnes nouvelles : non seulement l’UE a ratifié la convention d’Istanbul, l’instrument international le plus complet en matière de protection des femmes, mais elle a aussi récemment adopté une législation historique pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, notamment en interdisant les mutilations génitales féminines, les mariages forcés et la cyberviolence.
La sécurité des femmes, une affaire inachevée
Les deux années de négociations à Bruxelles ont cependant révélé un manque choquant de volonté politique pour mettre fin à toutes les formes de violence basée sur le genre.
Le président français Emmanuel Macron et le ministre allemand de la Justice Marco Buschmann se sont scandaleusement alliés au Premier ministre illibéral hongrois Viktor Orbán pour exclure de la loi une définition du viol basée sur l’absence de consentement.
Le viol est l’une des formes de violence les plus horribles mais aussi les plus fréquentes. On estime que 5 % des femmes dans l’UE ont déjà été violées. Pourtant, la plupart des femmes et des filles ne portent pas plainte par peur de ne pas être crues et en raison d’un manque de confiance dans le système judiciaire, entre autres raisons.
« Si je me faisais attaquée par l’ours, au moins tout le monde me croirait », a déclaré une utilisatrice des réseaux sociaux.
L’introduction d’une définition du viol fondée sur la notion consentement au sein de l’UE aurait bénéficié aux survivantes dans plus de 15 pays, y compris la France.
Devant les tribunaux français, il incombe à la victime de prouver que l’acte a été commis sous la menace, la contrainte, la surprise ou la violence. Établir l’un de ces quatre éléments est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît et, trop souvent, le consentement est présumé par défaut.
De même, en Italie, en Pologne, en Hongrie et dans sept autres États membres, la loi exige l’utilisation de la force ou des menaces.
Il s’agit d’une approche dépassée et dangereuse. Sans un « oui » informé et librement donné, il s’agit d’un viol.
Historiquement, la présence de mouvements féministes s’est révélée être le facteur le plus important dans la volonté d’un pays de s’attaquer à la violence fondée sur le genre. Les organisations féministes ont besoin et méritent plus de soutien, afin qu’elles puissent plaider pour une législation ambitieuse, offrir un soutien aux survivantes et sensibiliser le public.
Cependant, lorsqu’il s’est agi de criminaliser le viol au sein de l’UE, les demandes des femmes sont tombées dans l’oreille d’un sourd, la justice française affirmant que le changement juridique finirait par « contractualiser les relations sexuelles » en exigeant un consentement explicite. Il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre ces mythes néfastes.
L’égalité des sexes au cœur du scrutin
Au cours des cinq dernières années, les débats au Parlement européen ont montré que l’engagement des décideurs politiques est loin d’être garanti. Les recherches d’Oxfam France révèlent un paysage polarisé : tandis que les partis de gauche, écologistes et socialistes ont fait progresser des mesures allant de la transparence salariale aux droits LGBTQI+, les groupes d’extrême droite s’y sont systématiquement opposés.
Et malgré certains progrès en matière d’égalité des sexes en Europe, les lois nationales concernant le viol, l’avortement, la contraception, l’éducation sexuelle et les droits LGBTQ restent aussi variées que le jour et la nuit. Pourquoi nos droits, nos libertés et notre sécurité devraient-ils dépendre de notre lieu de résidence ? Selon l’association féministe Choisir la cause des femmes, ils ne devraient pas l’être.
Après avoir parcouru l’Europe pour rencontrer des experts et des activistes, Choisir la cause des femmes est désormais à l’avant-garde de la « clause de l’européenne la plus favorisée » : une proposition visant à harmoniser les normes avec les lois les plus exemplaires, telles que la loi progressiste espagnole « seul un oui est un oui » sur le viol.
Leur objectif est d’inciter les candidats aux élections à s’engager à respecter ces normes les plus élevées, afin que tous les Européennes puissent bénéficier des protections les plus robustes.
Cette initiative est particulièrement urgente alors que les courants politiques basculent vers le conservatisme dans des pays comme l’Italie, la Slovaquie et la Suède, où les droits risquent de reculer sous un discours antiféministe virulent et où que des millions d’euros affluent vers des groupes anti-genre.
Les prochaines élections européennes seront plus importantes que jamais. Alors que les discussions se concentreront sur la défense, le climat et la concurrence, la question cruciale de l’égalité des genres ne peut être négligée.
Les progrès dans ce domaine non seulement stagnent, mais les droits et protections durement acquis sont précaires et fragiles.
L’issue de cette élection influencera directement les droits qui seront protégés, les libertés qui seront maintenues, et la manière dont nous éradiquerons la violence fondée sur le genre à l’avenir.
C’est pourquoi nous avons besoin de plus, et non de moins, de représentants élus qui écouteront les groupes de première ligne comme Choisir, qui non seulement connaissent les besoins des communautés, mais sont également passionnés par les solutions. Chaque vote a le pouvoir de déterminer si toutes les femmes se sentiront plus en sécurité chez elles ou seules dans les bois.