Interview du professeur Michael Flood : comment les hommes peuvent agir contre la violence envers les femmes dans leur vie quotidienne

7 juillet 2023

Dans une société où le combat pour l'égalité des sexes est de plus en plus prégnant, la Fondation RAJA-Danièle Marcovici aborde le sujet du rôle des hommes dans cette lutte. Découvrez l'interview du professeur Michael Flood (Queensland University of Technology) auteur du livre "Les hommes s'engagent : Une boîte à outils pour l'action dans la vie quotidienne des hommes", qui évoque l'importance pour les hommes de s'impliquer activement dans la lutte contre la violence envers les femmes.

A travers ses livres, et son expérience personnelle, le professeur Michael Flood offre des perspectives sur la façon dont les hommes peuvent contribuer à changer les normes de genre, en éduquant et sensibilisant leur entourage. Loin d'être une lutte de femmes, il nous démontre que la violence de genre est un problème sociétal qui nous concerne toutes et tous.

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  • Pourquoi est-il important que les hommes s’impliquent dans la lutte contre la violence envers les femmes, et qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire « Men Speak Up: A toolkit for action in men’s daily lives » (en français : « Les hommes s’engagent : Une boîte à outils pour l’action dans la vie quotidienne des hommes ») ?

 

Il est essentiel que les hommes s’impliquent activement dans la lutte contre la violence envers les femmes pour plusieurs raisons. Premièrement, la violence est principalement perpétrée par des hommes. La plupart des hommes ne sont pas violents envers les femmes, du moins dans la plupart des contextes. Cependant, lorsque des violences domestiques ou sexuelles se produisent, ce sont majoritairement des hommes qui en sont responsables.

Deuxièmement, la masculinité est pour grande partie responsable de la violence de certains hommes envers les femmes et les filles. Par masculinité, je fais référence à la manière dont les hommes sont socialisés ou élevés, ainsi qu’aux messages qu’ils reçoivent sur ce que signifie être un homme. La masculinité joue un rôle dans la perpétuation de cette violence.

La troisième raison est plus optimiste : les garçons et les hommes ont un rôle positif à jouer. En agissant, ils peuvent prévenir et réduire cette violence.

En ce qui concerne le livre, j’ai été mandaté par une organisation nationale de prévention de la violence, White Ribbon Australia, pour le rédiger. White Ribbon Australia fait partie d’une campagne internationale connue sous le nom de Campagne du Ruban Blanc. J’étais déjà très engagé dans la lutte contre la violence des hommes et écrire ce livre m’a donné l’occasion de compiler des conseils pratiques sur ce que les hommes peuvent faire pour prévenir et réduire la violence envers les femmes et les filles.

 

  • Comment les hommes peuvent-ils remettre en question les normes de genre qui perpétuent la violence envers les femmes, et quel rôle jouent l’éducation et la sensibilisation pour donner aux hommes les moyens de devenir des alliés ?

 

Parfois, des hommes viennent me voir et sont préoccupés par la violence contre les femmes. Ils reconnaissent que c’est un problème grave et me disent, par exemple, qu’ils connaissent une amie qui a été victime de viol ou d’agression. Ils me demandent : « Que puis-je faire ? Comment puis-je, en tant qu’homme, aborder cette question ? » Selon moi, la première étape consiste, pour chaque homme, à commencer par lui-même. Nous devons examiner notre propre comportement et nous assurer que nous traitons les femmes et les filles de notre entourage avec respect et bienveillance. C’est la première étape pour remettre en question les normes de genre et les inégalités qui perpétuent la violence envers les femmes.

La deuxième chose que nous pouvons faire est de prendre la parole et agir de manière plus large. Lorsque quelqu’un a des commentaires sexistes et dénigrants, tels que par exemple prétendre que certaines femmes demandent à être violées ou que certaines femmes sont responsables de la violence qu’elles subissent, nous devons intervenir. De même, si nous constatons que des hommes autour de nous traitent les femmes avec irrespect, sexisme ou hostilité, nous devons réagir. En d’autres termes, les hommes peuvent jouer un rôle significatif en tant que témoins actifs en prenant la parole et en agissant dans la vie quotidienne, que ce soit dans les lieux de travail, les familles, les écoles, les institutions religieuses ou les environnements sportifs.

 

Je crois qu’il existe dans de nombreux pays de nombreux hommes qui ne tolèrent pas ou ne soutiennent pas la violence contre les femmes. Cependant, ils peuvent avoir du mal à identifier le rôle qu’ils peuvent jouer pour aborder cette question. Il est crucial de leur faire prendre conscience qu’ils ont effectivement un rôle à jouer. Les campagnes d’éducation, les initiatives sur les réseaux sociaux et les événements peuvent activement inviter les hommes à prendre part à l’égalité. Les femmes féministes ont toujours invité les hommes à se joindre à elles dans leurs efforts visant à mettre fin à la violence des hommes contre les femmes, mais on constate tout de même que certains manquent d’intérêt, voire nourrissent de l’hostilité envers cette problématique. L’éducation et la sensibilisation peuvent aider les hommes à réaliser qu’ils peuvent réellement faire une différence et contribuer à cette cause.

 

  • Quels sont les défis que rencontrent les hommes lorsqu’ils abordent la question de la violence contre les femmes, et comment peuvent-ils les surmonter ? Comment les hommes peuvent-ils créer des espaces bienveillants pour permettre aux femmes de partager leurs expériences et leurs préoccupations ?

 

Les hommes ont une compréhension limitée du phénomène des violences faites aux femmes. Ils ne réalisent pas sa prévalence et ont une définition plus restreinte des différentes formes de violences que les femmes. En conséquence, leurs attitudes sont souvent moins avancées que celles des femmes. Ils perçoivent souvent la violence contre les femmes comme un problème féminin. Bien qu’ils puissent reconnaître son importance et la considérer comme un enjeu social majeur, ils ont du mal à voir en quoi cela les concerne ou pourquoi ils devraient agir.

« De plus, beaucoup d’hommes surestiment le niveau de tolérance des autres hommes à l’égard des violences faites aux femmes. Par exemple, imaginons un groupe de 8 hommes. 2 sont ouvertement sexistes et 6 ne le sont pas. Un des deux fait un commentaire sexiste. Si personne ne dit rien, tous pensent que cette opinion est partagée par les 8 hommes. Les hommes s’abstiennent souvent de s’exprimer par peur des réactions des autres, en particulier des autres hommes.« 

Lorsque les hommes veulent agir, d’autres défis se présentent. Certains considèrent à tort que le problème concerne uniquement les autres, ignorant le fait que de nombreux hommes ont été auteurs de violence. Il est essentiel que les hommes réfléchissent à leur propre comportement et en assument la responsabilité. Une autre erreur courante est que les hommes ont tendance à dominer ou à diriger les campagnes de mobilisation contre la violence, reléguant parfois les femmes au second plan. Certains hommes pensent qu’ils doivent être parfaits avant de s’exprimer, estimant qu’ils ne peuvent aborder le problème que s’ils n’ont jamais mal agi par le passé. En réalité, les hommes peuvent reconnaître leur comportement passé inapproprié, en assumer la responsabilité et s’efforcer d’améliorer leur conduite.

Des défis se présentent également lorsque les hommes s’engagent dans des discussions avec des femmes sur ces questions. Certaines femmes peuvent se méfier ou être sceptiques quant au soutien des hommes à cette cause, ce qui est compréhensible compte tenu du fait qu’historiquement, les hommes ont tendance à prendre le contrôle et dominer les espaces. De plus, certains hommes peuvent prétendre être féministes dans un but intéressé, et notamment sexuel. Il n’est pas rare d’entendre de la part des hommes un vocabulaire féministe qui n’est pas sincère. En conséquence, les hommes qui s’engagent activement dans ces questions peuvent faire face à la méfiance de la part des femmes. Également, les éloges et la reconnaissance envers les hommes qui s’engagent sont souvent excessifs, et bien plus importants que ceux destinés aux femmes. Ils sont souvent disproportionnés par rapport aux efforts réels fournis et injustes.

 

  • Quels conseils donneriez-vous aux hommes qui souhaitent devenir des alliés ? Existe-t-il des initiatives ou des campagnes spécifiques que vous recommandez pour faire une différence tangible dans la vie des femmes victimes de violence ?

 

La première chose que les hommes doivent faire est de se concentrer sur eux-mêmes. Nous devons examiner de manière critique nos propres comportements et relations pour nous assurer de traiter les femmes, les filles et les autres avec respect et bienveillance. Cependant, pour mettre réellement fin à la violence des hommes contre les femmes, le changement personnel ne suffit pas. Nous devons également nous engager dans un changement social collectif. Par conséquent, les hommes doivent contribuer aux campagnes, groupes et réseaux de défense des droits des femmes qui luttent contre la violence des hommes depuis au moins 40 ans.

Lorsque les hommes commencent à s’impliquer dans ce travail, il faut apprendre. Nous devons explorer les théories féministes et écouter activement les perspectives des femmes. Nous devons examiner de manière critique les médias que nous consommons, y compris les émissions de télévision, les films et la pornographie, et analyser les messages qu’ils véhiculent.

Une façon pour les hommes de contribuer est de soutenir les groupes et les campagnes locales de défense des droits des femmes. Ils peuvent donner de l’argent ou de leur temps. Il est important de ne pas s’attendre à être sous les projecteurs ou à recevoir immédiatement une reconnaissance et un statut. Les hommes doivent être prêts à effectuer un travail non rémunéré et peu valorisé, et se renseigner sur la manière dont ils peuvent être utiles aux femmes au sein de ces organisations.

De plus, je recommande de rechercher des initiatives qui visent spécifiquement à impliquer les hommes dans ce travail. Des campagnes internationales telles que la campagne du Ruban Blanc existent. De nombreux pays ont également des groupes et des réseaux d’hommes antisexistes ou pro-féministes. Il est crucial pour les hommes d’entrer dans ces espaces avec humilité et de reconnaître que la confiance et l’acceptation ne peuvent être supposées, elles doivent être méritées.

En résumé, les hommes doivent entreprendre un voyage de réflexion sur eux-mêmes et de changement personnel tout en soutenant et en contribuant activement aux campagnes et aux organisations de défense des droits des femmes. En agissant ainsi, nous pouvons jouer un rôle actif pour éradiquer la violence contre les femmes.

 

  • Quelles étapes pensez-vous être nécessaires pour créer un avenir idéal où les hommes agissent activement contre les violences faites aux femmes ?

 

Les premières étapes pour créer un avenir exempt de violence nécessitent un changement de comportement chez les hommes. La violence contre les femmes est fondamentalement un problème de comportement au sein d’un certain groupe d’hommes, une minorité significative dans de nombreux pays. Ce n’est qu’en transformant ce comportement que nous pourrons mettre fin à la violence des hommes envers les femmes.

Pour y parvenir, il est également nécessaire de s’attaquer aux inégalités de genre plus larges, aux structures patriarcales et aux normes sociales qui favorisent et perpétuent cette violence. Nous devons remettre en question les normes de genre et les inégalités qui contribuent à ce que certains hommes deviennent des agresseurs, des individus qui exercent des pressions, exercent un contrôle et utilisent la coercition envers leurs partenaires, ou qui se livrent à du harcèlement sexuel dans l’espace public, par exemple.

Pour que cette transformation se produise, les hommes doivent s’unir aux femmes dans une action collective pour susciter un changement social. Il est particulièrement important pour les hommes de concentrer leurs efforts sur les autres hommes, car les femmes sont déjà submergées de conseils sur la manière de réduire leur risque d’agression ou de viol et de naviguer dans des relations violentes. Il y a eu un manque d’accent mis sur le rôle que les hommes peuvent jouer en s’abstenant eux-mêmes d’utiliser la violence et en remettant en question les comportements des autres hommes. Ainsi, pour les hommes engagés à mettre fin à la violence des hommes envers les femmes, notre attention devrait se porter principalement sur nous-mêmes, puis sur l’engagement avec d’autres hommes. Nous devrions nous efforcer de changer le comportement des hommes et de favoriser des modes de vie sains et équitables sur le plan du genre, en promouvant des masculinités positives chez les hommes et les garçons.

 

Le professeur Michael Flood (Queensland University of Technology) est un chercheur reconnu au niveau international dans le domaine des violences faites aux femmes, de la prévention de la violence, des hommes, des masculinités et du genre. Il a apporté des contributions significatives à la compréhension universitaire et publique de l’implication des hommes dans la prévention de la violence contre les femmes et dans la construction de l’égalité des genres, ainsi qu’à la recherche et à la programmation en matière de violence et de prévention de la violence. Le professeur Flood est l’auteur de Engaging Men and Boys in Violence Prevention (2019, cliquez ici pour accéder au livre en format PDF), co-auteur de Masculinity and Violent Extremism (2022), et l’éditeur principal de Engaging Men in Building Gender Equality (2015) et de The International Encyclopedia of Men and Masculinities (2007).

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