Interview d’Isabelle Lonvis-Rome : un engagement constant pour les droits des femmes

22 novembre 2023

Ancienne ministre déléguée, en charge de l’égalité femmes/hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, de mai 2022 à juillet 2023, Isabelle Lonvis- Rome était auparavant – de 2028 à 2022- la haute-fonctionnaire à l’égalité femmes/hommes du ministère de la justice. Plus jeune juge de France à 23 ans, elle a effectué la majeure partie de sa carrière dans les tribunaux. Elle a occupé toutes les fonctions de juge pénal- application des peines, instruction, juge des libertés et de la détention- et présidé les cours d’assises du ressort de la cour d’appel de Versailles. Elle a été cheffe du pôle prévention de la délinquance au ministère de la ville et conseillère technique de la garde des Sceaux Marylise Lebranchu. Isabelle Lonvis-Rome a été engagée dans le secteur associatif à Lyon -aide aux toxicomanes, aide aux réfugiés, association culturelle des prisons. Elle a fondé en 2003, dans l’Oise, Femmes de libertés, association pour les femmes, qu’elle présida pendant 12 ans. Elle a écrit plusieurs ouvrages : Vous êtes naïve madame le juge (2012) Dans une prison de femmes, une juge en immersion (2014) Plaidoyer pour un droit à l’espoir (2018) aux Editions Enrick B et Liberté, égalité, survie (2020, éditions Stock). Elle a co-dirigé l’ouvrage « Emprise et violences au sein du couple » aux éditions Dalloz en 2021.

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  • Vous avez été Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances de mai 2022 à juillet 2023. Quelles ont été vos priorités et pourquoi ?

Mon objectif a été de mettre en place une véritable politique publique interministérielle en matière d’égalité entre les femmes et les hommes portée par l’ensemble du gouvernement et applicable sur l’ensemble du territoire national.

J’ai élaboré, avec une quinzaine de Ministres, un plan sur quatre ans autour des grandes thématiques de l’égalité femmes-hommes : la lutte contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l’égalité économique et professionnelle et la culture de l’égalité. Ce plan comporte 160 mesures à mettre en œuvre dans les quatre ans. Il était important pour moi de bâtir ce plan comme une ligne politique et directrice.

La lutte contre les violences faites aux femmes est le premier pilier du ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Tant qu’on n’aura pas éradiqué ou sensiblement fait diminuer les violences faites aux femmes, on n’atteindra jamais l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Nous ne pouvons pas non plus oublier que nous vivons dans une société dans laquelle une femme meurt encore tous les trois jours sous les coups de son conjoint et dans laquelle plus de 80% des victimes de viols sont des femmes.

On compte près de 113 000 femmes victimes de violences au sein de leur foyer chaque année. Pour remédier à cette situation, j’ai considéré comme prioritaires l’instauration d’une justice spécialisée et la possibilité d’offrir aux victimes une prise en charge globale et concrète, à l’image des Maisons des femmes – que la Fondation RAJA-Danièle Marcovici soutient par ailleurs.

 

  • En 2018, vous avez été nommée haute fonctionnaire à l’égalité femmes hommes au ministère de la Justice. Ça fait suite à une très longue carrière dans la magistrature. Quelles sont les principales limites de la justice française dans la protection des droits des femmes ?

La justice a beaucoup évolué au cours de ces dernières années, notamment depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République et le Grenelle des violences conjugales en 2019. J’y ai contribué largement en étant, à l’époque, haute- fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes, en animant un groupe de travail pluridisciplinaire, en formulant de nombreuses propositions- dont la plupart ont été retenues- et en suivant de près l’exécution des mesures décidées.

Il y a deux enjeux dans une réponse adaptée de la justice, et c’est d’ailleurs ce qu’on retrouve dans la justice spécialisée :

  • Il s’agit d’abord d’avoir des magistrats et des personnels formés. Les violences intrafamiliales sont des violences spécifiques qu’on ne peut pas traiter comme les autres violences ou infractions. Pour pouvoir les juger correctement, certaines notions doivent être connues. Je pense par exemple au phénomène d’emprise, aux problématiques du psycho-traumatisme, à l’effet de sidération ou au rôle de la mémoire qui parfois occulte pendant des années des faits extrêmement douloureux comme des viols, agressions ou maltraitances. Cette formation est essentielle.
  • Le second enjeu est celui de la cohérence des réponses judiciaires. Quand on parle des violences intrafamiliales, il ne faut pas seulement raisonner par rapport à un acte, un auteur, une victime, mais bien prendre en compte la situation d’une famille. La justice spécialisée permet d’apporter une cohérence dans les décisions rendues par différents juges, afin d’éviter les contradictions. Par exemple : Un juge pénal condamne un auteur pour des faits de violences conjugales. Si le juge aux affaires familiales ignore cette décision, il risque d’organiser la vie de la famille en permettant au condamné de rencontrer la victime tous les week-ends pour l’exercice de son droit de visite et d’hébergement sur les enfants, alors qu’il est bien connu que ces moments-là sont propices au passage à l’acte.

 

  • En 2002, vous avez fondé l’association Femmes de liberté que vous avez présidée pendant 12 ans. Votre vie professionnelle et personnelle est dédiée à la protection des victimes, des personnes vulnérables et notamment les détenus, les toxicomanes et les réfugiés. Comment expliquer ce parcours et ces combats au service des autres ?

Je me rends compte avec le recul et en regardant mon parcours, que j’ai été souvent là pour des personnes en souffrance ou démunies.

Le fil rouge de ma carrière, ce qui me guide et ce pourquoi je me bats depuis toujours, c’est le respect de la dignité humaine. Au gré de mes affectations et de mes rencontres, y compris sur le plan personnel, j’ai eu différents champs d’intervention. J’ai commencé ma carrière dans les prisons où j’ai été extrêmement investie sur les conditions de détention, pour plus de dignité et pour favoriser la réinsertion. J’ai retravaillé d’ailleurs sur le sujet plus de vingt ans après, à Versailles, lors de l’écriture de mon livre sur la condition des femmes en prison. J’ai aussi travaillé auprès des toxicomanes et pour les réfugiés politiques en ayant été administratrice d’un centre de réfugiés et d’un centre d’accueil pour les toxicomanes. La situation et le devenir des jeunes vivant dans les quartiers défavorisés m’ont toujours interpellée et je me suis engagée dans des actions pédagogiques en leur direction, dans la banlieue lyonnaise puis à Creil. Un moment très important de mon parcours fut aussi la mise en place de la réforme des soins psychiatriques dans les établissements de santé mentale. Comme juge des libertés de la détention, j’ai organisé des audiences à l’hôpital avec comme seule boussole le respect de la dignité humaine.

Un combat majeur pour moi, depuis plus de vingt ans, est évidemment celui pour l’égalité femmes-hommes, avec un prisme particulier pour la lutte contre les violences faites aux femmes. En étant présidente de Cour d’assises, ayant jugé des féminicides, des viols, j’ai pris conscience de jusqu’où ces violences pouvaient mener. J’ai décidé de me lancer dans la lutte contre ce fléau.

Ce combat, je le dédie à toutes les femmes que j’ai rencontrées tout au long de ma carrière, dans mes cabinets de juge d’instruction, de juge d’application des peines, de juge correctionnel, de présidente de cour d’assises. Je le dédie aussi à celles que je n’ai pas vues, malheureusement, parce que c’était trop tard.

 

  • En France, les droits des femmes sont menacés, les violences conjugales et les féminicides ne diminuent pas. Les mouvements anti-droits s’organisent et voient leur influence progresser. Quelles mesures mettre en place pour lutter efficacement contre les princes et les femmes pas une menace qui pèse sur les droits des femmes ?

Il y a de nombreuses menaces à l’encontre des droits des femmes. Un peu partout sur la planète, y compris dans des grandes démocraties, l’accès à l’avortement est questionné. Aux Etats-Unis, la Cour suprême a remis en cause l’inconditionnalité du droit à l’avortement. Si vous aviez posé cette question il y a quelques années aux Américaines, elles n’auraient jamais pensé que ce droit pourrait être remis en cause. C’est pourquoi je suis très engagée pour que le droit à l’IVG puisse figurer dans la Constitution française. Cette inscription constituerait comme un rempart et le protégerait de toute attaque. Ce que peut faire une loi, une autre loi peut, en effet, le défaire. Il faut éviter cela et faire en sorte que le droit à l’IVG soit un droit fondamental, protégé par le texte le plus fort de notre République qu’est la Constitution. Le président de la République s’est engagé à constitutionnaliser la liberté d’avorter.

Il ne faut pas laisser passer les actes anti-droits, comme par exemple, la campagne qui s’est déroulée à Paris en mai dernier, avec des autocollants pro-vie sur les vélib’. En tant que Ministre, j’ai lancé une procédure sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale pour porter plainte pour délit d’entrave à la liberté d’avorter. Il faut parallèlement continuer la prévention et la sensibilisation pour éviter les passages à l’acte.

 

  • Aujourd’hui, vous entendez poursuivre vos différents combats. Quels sont vos engagements actuels ?

Très prochainement, je vais repartir dans la justice comme première présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles. L’objectif est d’y mettre en place le premier pôle spécialisé sur les violences intrafamiliales. Je suis très heureuse d’avoir à mettre en pratique ce que j’ai pu impulser comme Ministre et de retourner sur le terrain, dans la réalité quotidienne. Je reste bien sûr engagée auprès des associations. Le travail de réflexion est aussi essentiel et je vais pour cela sortir un nouveau livre. L’activité d’écriture est très complémentaire de l’exercice de ma profession. Elle me permet de transmettre des messages et de partager les savoirs acquis au cours de mon expérience mais aussi de donner d’autres pistes et de nouvelles propositions pour avancer et progresser.

En matière de droits des femmes, il faut toujours avancer et rester vigilantes, pour ne jamais reculer.

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