Interview Delphine O – 1 an après le Forum Génération Égalité : où en sommes-nous ?

19 juillet 2022

Delphine O, Ambassadrice et Secrétaire Générale du Forum Génération Égalité répond aux questions de la Fondation et dresse un bilan du premier anniversaire du Forum.

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  • Pouvez-vous nous présenter ce qu’est ce Forum Génération Égalité (FGE) ? Comment est-il né et quels sont ses enjeux ?

Le Forum Génération Égalité s’est tenu à Paris en juin 2021 et est la plus importante conférence internationale pour les droits des femmes et pour l’égalité de genre depuis ces 26 dernières années. La dernière conférence de ce type avait été organisée à Pékin en 1995. Le Forum Génération Égalité était co-présidé par 2 pays, la France et le Mexique, et a rassemblé de nombreux acteurs : des acteurs gouvernementaux, des organisations internationales mais aussi beaucoup d’acteurs de la société civile avec des ONG, des acteurs du secteur privé, des fondations philanthropiques et des entreprises. C’était une conférence véritablement mondiale puisque plus de 70 États étaient réunis. Plusieurs milliers d’ONG et d’entreprises étaient également présentes, ainsi que la plupart des grandes organisations internationales.

L’objectif du Forum Génération Égalité est d’abord politique, c’est de relancer une dynamique en faveur des droits des femmes et l’égalité de genre, dans une période où on voit bien qu’il y a une montée en puissance de forces conservatrices, voire régressives pour les droits des femmes. Depuis le lancement du Forum, il y a eu l’Afghanistan, l’Ukraine, l’interdiction d’avortement aux États-Unis mais il y avait déjà de nombreux exemples, y compris européens, où les droits des femmes étaient bafoués. On souhaitait montrer que le terrain n’était pas seulement occupé par ces mouvements conservateurs, mais qu’il y avait aussi des forces progressistes qui savent s’allier et se mobiliser.

Notre second objectif était de mobiliser des fonds pour les droits des femmes. Au cours de ces quarante dernières années, de nombreuses textes et conventions internationales ont été adoptés pour protéger et promouvoir ces droits. Néanmoins, la mise en œuvre est plus difficile en raison de manque de financement. Pendant les 3 jours de Forum, nous avons réussi à mobiliser 40 milliards de dollars avec à l’époque 1 000 engagements. Depuis, on a quasiment triplé le nombre d’engagements avec plus de 2 700 engagements de différents acteurs.

La spécificité du Forum, c’est justement d’être multi-acteurs. C’est la première fois qu’on avait une conférence internationale qui ne rassemblait pas seulement les États et les organisations internationales, mais sur un pied d’égalité, la société civile et les secteurs privé et philanthropique. On a réussi à les faire travailler ensemble autour de 6 thématiques, appelées coalitions d’actions, choisies après de vastes consultations de la société civile. Chacune des coalitions a défini son propre plan d’action pour les 5 ans qui suivent.

 

  • Le FGE vient de fêter son premier anniversaire. Quelles ont été ses principales réalisations ?

Les engagements ont été annoncés lors du Forum l’an dernier. Depuis la mise en œuvre et le suivi sont, du point de vue de la société civile, souvent trop lents parce qu’il y a tellement de besoins pour les droits des femmes. Mais malgré tout on peut se féliciter d’un certain nombre de chiffres et de faits.

Tout d’abord comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons constaté un triplement des engagements. Le Forum Génération Égalité en tant que plateforme de mobilisation continue à avoir un fort pouvoir d’attractivité avec 2000 nouveaux engagements pris.

En tant qu’ambassadrice, je représente le gouvernement français. La France, quant à elle, avait annoncé 400 millions d’euros pour les droits sexuels et reproductifs qui sont aujourd’hui attaqués de toutes parts. On voit évidemment ce qui s’est passé aux États-Unis, mais aussi en Pologne. Une partie de ces fonds a pour objectif d’alimenter un programme du Fonds des Nations unies pour la population (le FNUAP). La France a décaissé ses premiers engagements à hauteur de 18 millions d’euros par an, en 2021 et en 2022. Ce programme est indispensable : il travaille dans une cinquantaine de pays et a pour mission de centraliser l’achat de contraceptifs et de les faire parvenir au dernier kilomètre, c’est à dire aux femmes qui n’ont pas accès facilement aux contraceptifs modernes et adaptés à leurs besoins.

La France a aussi, par exemple, renouvelé sa contribution au Fonds Muskoka créé il y a 10 ans. Il vise à améliorer la santé maternelle et infantile et à prévenir la mortalité, en apportant à la fois de l’éducation et des soins, notamment des soins post-avortement.

La France a également lancé dans le cadre du Forum Génération Égalité l’initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’homme. C’est un programme d’accueil des défenseurs des droits humains qui sont menacés dans leur pays pour leurs activités militantes. Cette année, la première promotion est exclusivement féminine, composée de quinze femmes. Elles viennent de Birmanie, d’Afghanistan, du Nicaragua, de Tanzanie, de Syrie, d’Irak… Elles sont accueillies pendant 6 mois en France, tous leurs frais sont pris en charge, et elles bénéficient de formations, sont sensibilisées à différents sujets et rencontrent de nombreuses personnes.

 

  • Plus concrètement, comment le FGE a-t-il aidé des associations féministes ? Quel plaidoyer a-t-il mis en place ?

Pour vous donner un exemple, le fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) a été lancé à l’occasion du Forum, par le ministère des Affaires étrangères et l’Agence française de développement, qui se chargent également du processus de sélection. Très concrètement le fonds consiste en la répartition, sur 3 ans, de 120 millions d’euros à destination des associations féministes du Sud. Déjà 40 millions d’euros ont été distribués en 2020 et en 2021 à des organisations ayant pour thématiques respectives « genre et climat » et « droits sexuels et reproductifs ». C’est un financement direct pour ces organisations qui en ont largement besoin.

De manière plus générale, le Forum Génération Égalité est une plateforme de plaidoyer qui est absolument unique et indispensable. Il l’est pour les associations féministes partout dans le monde, mais particulièrement pour celles qui sont réprimées en raison de leurs activités en faveur des droits des femmes, qui n’ont pas le droit de s’exprimer librement ou dans des États où la législation est contraire aux droits des femmes. J’ai rencontré de nombreux et nombreux activistes, qui viennent du continent africain, de l’Asie du Sud-Est ou de d’Amérique latine. Ils et elles me disent que le Forum a permis de redonner une dynamique, un souffle puissant aux associations. Il les a mobilisées, a redistribué des financements. C’est un levier pour mettre la pression sur les gouvernements afin qu’ils adoptent des mesures législatives ou financières en faveur des droits des femmes, en leur montrant l’intérêt pour eux de rejoindre cette plateforme. Elle leur apporte réputation et visibilité. A ce jour, il n’existe aucune autre plateforme qui permette à un État, une association ou une fondation de s’engager dans le cadre d’une coalition, de bénéficier de l’échange de bonnes pratiques et de l’expérience des autres membres, et de s’inscrire dans une dynamique collective, internationale et multi-acteurs.

 

  • Quels sont les acteurs qui composent le Forum et comment leur diversité renforce son impact ?

Nous avons souhaité dès le début ne pas rester dans un fonctionnement purement intergouvernemental, qui est le fonctionnement classique des Nations unies et des conférences diplomatiques. Nous avons voulu associer la société civile. La structure de gouvernance qui a pris toutes les décisions pendant les 2 ans de préparation du Forum, le Core Group, était composé de représentants de la France, du Mexique, d’ONU Femmes, mais également de représentants de la société civile et de la jeunesse. Ces représentants avaient un pouvoir de décision et un pouvoir de veto, au même titre que ceux des États et des nations. C’est une première dans le système des Nations unies et des conférences internationales, d’avoir mis sur un pied d’égalité la société civile d’un côté, et les États et les organisations internationales de l’autre.

La gouvernance va continuer à être multi-acteurs, en incluant cette fois-ci les organisations philanthropiques et le secteur privé en parallèle des Etats, des Nations unies, des organisations de jeunesse et des organisations de la société civile pour le suivi du Forum sur les 5 prochaines années. Cette gouvernance se retrouve dans tous les événements de mobilisation que nous organisons autour du Forum, avec des organisations de la société civile choisies par ONU Femmes pour leur diversité et leur représentativité des différents groupes qui constituent les associations féministes. On y retrouve notamment des associations LGBT, de femmes en situation de handicap, de femmes, indigènes, de jeunes filles et d’adolescentes…  Nous avons essayé de représenter toute la diversité des femmes et des filles aujourd’hui.

 

  • En tant que Secrétaire Générale du FGE, quels sont les défis les plus importants que vous avez relevés ?

Il y avait à la fois un défi logistique, un défi politique et un défi contextuel.

Le défi logistique, c’est évident, était lié à l’impact de la pandémie de la COVID-19. Nous avons dû reporter le Forum d’un an puisqu’il devait avoir lieu normalement à l’été 2020. Il y avait beaucoup d’incertitudes autour de l’animation du Forumen 2020-2021. Nous avons également dû réduire nos ambitions en termes d’accueil puisque nous souhaitions accueillir 10 000 personnes à Paris et finalement que nous avons pu accueillir seulement quelques centaines de personnes. Nous avons dû transformer le Forum en forum hybride virtuel qui a permis d’accueillir 50 000 personnes connectées, 90 panels, 700 speakers. Il y avait également un défi politique et organisationnel, qui consistait à faire collaborer le secteur privé avec la société civile qui n’ont pas l’habitude de se parler et encore moins de travailler de façon collective sur des projets communs. Cela n’a pas été facile de faire travailler ces acteurs qui ne se connaissaient pas, mais je crois que finalement, nous avons bien réussi. Nous avons d’autant plus réussi que nous évoluons dans un contexte particulier de backlash politique contre les droits des femmes, de régressions et notamment de résistance de certains États qui ne voyaient pas d’un bon œil la tenue du Forum Génération Égalité.

 

  • Quelles sont vos ambitions pour le FGE dans 4 ans, c’est-à-dire une fois que les coalitions arriveront à terme ?

L’objectif est, évidemment, d’avoir un bilan positif en 2026, que les engagements pris soient réalisés pleinement, que ce soit par les États, les organisations internationales ou le secteur privé. C’est donc d’être efficace et d’avoir réussi à réduire les inégalités.

C’est une première chose, mais notre ambition est aussi que sur la base de ce bilan, cette dynamique ne s’achève pas en 2026, mais qu’au contraire, d’autres pays et organisations prennent le relai de ce qui a été impulsé par la France et le Mexique en 2021. C’est une dynamique ouverte, et nous espérons de nouvelles coalitions, des nouvelles thématiques, des nouveaux objectifs chiffrés et de nouveaux programmes de financement. Nous avons plus de 70 États, mais tous les États sont les bienvenus pour rejoindre la coalition de leur choix. C’est également le cas pour toutes les organisations de la société civile, les entreprises ou les fondations qui peuvent rejoindre une coalition, même en cours de route.

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