Interview de Valérie Desplanches : Endométriose et travail, le silence assourdissant des femmes

13 février 2024

Après une formation en biologie à Paris VI, un DEA en sciences alimentaires et en nutrition et l’obtention d’un diplôme d’ingénieur en agro-alimentaire, Valérie a exercé pendant plus de 30 ans des responsabilités en Recherche et Développement dans des groupes agro-alimentaires internationaux. Elle a dirigé des équipes de R&D d’innovation produits et de recherche en nutrition et bénéfices santé. Valérie a notamment dirigé des programmes d’innovation en alimentation infantile et en santé de la femme chez Danone Nutricia aux Pays-Bas. Alors qu’elle était Directrice Générale R&D et Qualité du groupe Danone en Afrique, elle a en particulier œuvré avec son équipe pour mettre en place des programmes scientifiques destinés à améliorer la nutrition et la santé des femmes et des jeunes enfants.

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  • Pouvez-vous nous présenter la Fondation pour la Recherche sur l’Endométriose, son histoire et ses missions ?

La Fondation a été créé en janvier 2021 avec l’association de patientes ENDOmind, sous l’égide de la Fondation pour la Recherche Médicale. ENDOmind se positionnait déjà en faveur du soutien aux malades et de la mise en lumière de la maladie, mais la recherche restait un élément limitant. Même si l’endométriose a été caractérisée en 1860, ses mécanismes et son origine restent inconnus. En effet, il n’existe pas de chiffres précis sur l’endométriose, sa prévalence, son évolution et son incidence. Cela contribue donc à la création d’une énorme lacune, notamment au niveau français. Par exemple, il n’existe aucun.e chercheur.se qui se consacre 100 % à cette pathologie en France. Or, quand on sait que 2 000 000 à 4 000 000 de femmes sont atteintes, on se rend compte que l’intérêt et les moyens consacrés à la recherche sur l’endométriose ont été très maigres. De ce fait, le cadre global de la Fondation depuis sa création a été l’accélération de la recherche. De manière à remplir cette mission, nous nous sommes focalisés sur 2 piliers principaux.

Le premier pilier est le financement de la recherche en faveur de l’intérêt des patientes. En effet, les chercheur.euse.s consacrent la moitié de leur temps à rechercher des financements pour leurs travaux. Ce volet financement nous a donc permis de lancer 3 appels à projet depuis la création de la Fondation. Les appels à projet sont annuels, et les projets sont examinés par un comité international selon la qualité scientifique des équipes, l’adéquation du projet avec les thématiques de la Fondation et le niveau d’innovation.  Le deuxième pilier est l’information, la sensibilisation. L’année dernière nous avions réalisé un sondage Ipsos, qui a révélé que 83% des français.e.s connaissaient l’endométriose, mais la compréhension réelle de la maladie reste encore limitée car souvent qualifiée comme une simple douleur de règles. C’est pour cela que la Fondation doit devenir une référence d’informations scientifiques et médicales pour tous les publics. Ici, l’idée n’est pas d’enfoncer des portes ouvertes mais bien d’aller en ouvrir de nouvelles.

Aujourd’hui, l’accès des femmes à la connaissance se fait surtout par le biais des réseaux sociaux. Pour le grand public, il est donc nécessaire d’apporter des informations rationnelles, vérifiées et pédagogiques. Il est également capital d’apporter ce genre d’outils aux chercheur.euse.s, pour qu’ils.elles prennent conscience de l’importance scientifique de ce sujet. Les professionnel.le.s de santé restent un enjeu majeur, avec une formation encore insuffisante dans ce domaine, intégré aux cursus médicaux il y a seulement 2 à 4 ans. On peut notamment agir auprès des professionnel.le.s de santé de premier recours, comme les sage-femmes et les gynécologues de ville, mais aussi les médecins généralistes et les pharmaciens. Les institutions sont aussi ciblées, malgré une stratégie nationale déjà en place fortement impulsée par ENDOmind, nécessitant une sensibilisation continue pour agir efficacement. Enfin, après avoir brisé le tabou de l’endométriose au sein de la sphère privée, nous voulions qu’il soit aussi brisé au sein de la sphère professionnelle en intervenant auprès des entreprises.

L’année dernière, nous avons estimé que la sensibilisation et le financement n’étaient pas suffisants pour accélérer la recherche. En effet, le nombre de projets candidats étaient trop nombreux. De ce fait, nous nous sommes axés en priorité sur le soutien et le financement les jeunes chercheur.euse.s, dès le début de leur carrière, pour les amener à travailler sur la pathologie. Nos autres pistes de réflexions étaient : comment susciter davantage de débats scientifiques pour faire émerger de nouvelles idées ? Comment soutenir les chercheur.euse.s dans une approche méthodologique d’excellence ? De ce fait, nous avons décidé d’agir sur toute la chaîne de recherche.

 

  • Quelle est l’ampleur de l’endométriose en France et dans le monde ? Comment affecte-t-elle le quotidien des femmes qui sont touchées par cette maladie ?

La douleur des femmes a toujours été normalisée par les chercheurs et médecins, en majorité des hommes par le passé. L’endométriose est complexe car les symptômes ne correspondent pas toujours à la gravité des lésions. Par exemple, certaines femmes peuvent avoir des lésions sans ressentir de douleur et ne découvrent leur endométriose qu’à 45 ans ! En revanche, la qualité de vie de la femme peut s’avérer extrêmement dégradée, sans pour autant présenter beaucoup de lésions. Parfois, les lésions ne sont même pas bien perceptibles à l’imagerie, ce qui entraîne des erreurs de diagnostic. Finalement, peu importe la gravité des lésions, le plus important reste les symptômes et la qualité de vie des femmes. Cependant, les médecins se concentrent souvent sur la gravité des lésions plutôt que sur les symptômes et la qualité de vie de la patiente, négligeant ainsi la douleur et la fatigue ressenties.

Ce combat est sociétal, bien au-delà d’être médical. Les douleurs associées à l’endométriose se manifestent pendant les règles, l’ovulation, ainsi que dans les syndromes prémenstruels et post-menstruels. Au fil du temps, une hypersensibilité pelvi-périnéale se développe, rendant la douleur presque constante. C’est pour cela que l’enjeu premier est de détecter l’endométriose le plus tôt possible. De plus, les douleurs peuvent se traduire par de la fatigue chronique, des douleurs lombaires, dans les jambes, des troubles digestifs et/ou urinaires et des douleurs au moment des rapports. Plus de 80 % des femmes souffrant de cette maladie déclarent une altération de leur qualité de vie, ce qui peut mener à un isolement social et à la dépression. La fertilité est également fortement affectée, l’endométriose étant la principale cause d’infertilité chez les femmes.

Pour ce qui est du cadre professionnel, la parole doit-être libérée. Nos enquêtes montrent que plus de 60 % des femmes n’en parlent pas du tout ou alors en parlent à leurs collègues mais pas à leur manageur.euse ni au médecin du travail. Il existe vraiment un angle mort au sein les entreprises en raison de la peur des femmes d’être stigmatisées et restreintes au sein de leur parcours. De plus, l’endométriose peut donner lieu à de l’absentéisme, même si 89 % des femmes atteintes viennent travailler malgré la douleur. Dans ce contexte, il est question d’une baisse de productivité, de concentration et d’une immense fatigue. Ce manque de productivité donne lieu à beaucoup de culpabilité chez la femme, l’enfermant ainsi dans un cercle vicieux.

La sociologue Alice Romerio a mené une étude il y a quelques années, qui montre que 1/4 des femmes atteintes de l’endométriose ont renoncé à leur carrière. Ce phénomène peut aller jusqu’à la précarisation de la femme, puisqu’une étude australienne montre que 14 % des femmes ont été licenciées à cause de la pathologie. L’étude d’Alice Romerio montre également que 12 % des femmes atteintes expriment avoir été affectées négativement. Lorsque les femmes atteintes renoncent à leur carrière, elles préfèrent souvent se tourner vers l’auto-entrepreneuriat. Cependant, l’auto-entrepreneuriat lorsqu’on est seule et malade peut s’avérer compliqué, avec une couverture sociale moins bonne.

 

  • Où en est la recherche ? Existe-t-il des traitements efficaces contre l’endométriose à l’heure actuelle ?

Il existe des traitements même si on ne peut pas guérir cette maladie. Il existe des traitements de « première intention », c’est-à-dire les antalgiques, qui s’avèrent parfois très puissants comme dans le cas de dérivés d’opiacés. Le traitement de première intention le plus efficace aujourd’hui reste la suppression des règles. En effet, les lésions provoquent de l’inflammation et donc des douleurs au moment des règles. Pour arrêter les règles, il existe des traitements hormonaux, grâce à une pilule en continu. Dans 60 à 70 % des cas, ce type de traitement calme les symptômes de l’endométriose. Néanmoins, ces traitements peuvent avoir des effets secondaires comme la prise de poids ou la dépression. Même si le traitement hormonal est le plus efficace, beaucoup de jeunes femmes y sont réticentes. Face à cela, les médecins peuvent se retrouver démunis.

Ce qu’il faut comprendre avec cette maladie chronique inflammatoire, c’est qu’il faut mettre en œuvre une approche multidisciplinaire. La patiente joue un rôle clé dans la recherche des solutions adaptées. Par exemple, une amélioration de l’hygiène de vie, incluant le repos et une alimentation anti-inflammatoire, est recommandée. La pratique d’activités physiques douces est également importante pour prévenir les adhérences provoquées par l’inflammation. C’est l’immobilité engendrée par ces adhérences qui provoque en partie les douleurs. Des approches comme l’acupuncture, la sophrologie et la psychologie peuvent aider à réduire l’anxiété et la douleur. Il est crucial d’informer les femmes sur ces différentes options pour les guider dans leur parcours de prise en charge.

 

  • Jusqu’au 15 décembre, la Fondation pour la Recherche sur l’Endométriose fait signer la tribune « Endométriose et travail, le silence assourdissant des femmes » à l’attention des dirigeant.e.s d’entreprise. Quel message porte cette tribune ?

Plus de 60 % des femmes ne s’expriment pas à propos de leur maladie, ce qui entraîne un angle mort pour les entreprises. Au-delà d’une cause médicale, c’est donc une cause sociétale, puisque c’est un vrai facteur d’inégalité. En effet, il y a des spécificités de la santé de la femme qui doivent être prises en compte. Le rapport de la Délégation aux droits des femmes du Sénat contient une phrase qui l’illustre bien : « différencier n’est pas stigmatiser ». En effet, la santé menstruelle, présente tout au long de la vie professionnelle des femmes, peut entraîner un absentéisme dès les études. Donc le premier message de la tribune est qu’il faut sensibiliser les dirigeant.e.s d’entreprise au sujet de la santé menstruelle et de l’endométriose. La deuxième chose est de mettre en lumière notre programme ENDOpro pour permettre aux entreprises de comprendre l’étendue de l’endométriose, à travers une enquête qui reflète la réalité de la maladie parmi leurs salariées. Leur montrer comment agir, c’est améliorer la qualité de vie des femmes qui sont touchées en plus de maintenir la productivité de l’entreprise. Ne rien faire, c’est prendre le risque de perdre des talents féminins au sein des équipes. Des mesures telles que la flexibilisation du temps de travail, l’aménagement de l’environnement de travail et la prise en charge des soins spécifiques par les mutuelles peuvent aider à retenir ces talents. Le message essentiel est d’alerter les dirigeant.e.s sur cette réalité et de les inciter à agir.

 

  • La Fondation pour la Recherche sur l’Endométriose pousse donc les entreprises à devenir « endoresponsables » grâce au programme ENDOpro, pouvez-vous en expliciter les objectifs et les bénéfices ?

Notre programme présente trois principaux bénéfices : d’abord, il améliore la qualité de vie des femmes au sein de l’entreprise en proposant des solutions adaptées. Ensuite, il permet aux entreprises de soutenir la recherche, car il est conçu comme une contrepartie à du mécénat d’entreprise. Enfin, il permet d’obtenir des données chiffrées jusqu’ici indisponibles. Ce programme contribue ainsi à créer un cercle vertueux. En termes de mise en œuvre, il se devise en quatre parties. La première consiste en la sensibilisation des lignes managériales, des médecins du travail et des dirigeant.e.s à la maladie, en combinant l’expertise médicale et l’expérience des patientes. Ensuite, une enquête quantitative, élaborée avec des expert.e.s et des patientes, est menée pour mesurer l’impact de l’endométriose au sein de l’entreprise et recueillir les besoins des femmes. Cette enquête, anonymisée et administrée par un institut spécialisé, a obtenu un taux de participation de 20 %, révélant que 13 % des femmes sont atteintes ou suspectées d’endométriose et 9% sont des aidant.e.s. La troisième étape consiste à accompagner les entreprises dans la mise en place de solutions adaptées, grâce à notre réseau d’expert.e.s. Enfin, le programme vise à créer un label pour encourager les entreprises à devenir « endoresponsables ».

 

  • Actuellement, avec quelles entreprises travaillez-vous ?

Actuellement, nous accompagnons General Electric Health Care au niveau de la troisième étape de notre programme, c’est-à-dire la mise en place de solutions au sein de l’entreprise. En tant qu’entreprise d’imagerie très engagée dans la santé et ayant déjà travaillé sur le sujet du cancer du sein, il était naturel pour eux de poursuivre leur travail sur le sujet de l’endométriose. Nous travaillons avec cette entreprise depuis 2 ans déjà, dans le cadre de vidéos de sensibilisation, d’information, et maintenant sur le programme ENDOpro. Autre exemple, nous allons mettre en œuvre le programme chez Nuxe. En effet, c’est une entreprise possédant 80 % de femmes. Nous sommes également en discussion avec d’autres entreprises, avec des profils assez différents, mais possédant toute la même responsabilité dans la santé des femmes et dans la lutte contre les inégalités.

 

  • Est-ce que vous pensez que l’endométriose est un angle pertinent pour aborder les inégalités de genre de manière transversale ? Notamment en termes d’inégalités de santé entre les femmes et les hommes ?

Comme l’avait dit Prisca Thévenot, alors parlementaire, l’endométriose est le cheval de Troie de la santé des femmes. Effectivement, la santé de la femme, parce qu’elle est spécifique, engendre des inégalités. Dernièrement, un rapport du Forum Économique Mondial, évaluait à 1 000 milliards de dollars, le coût de non prise en compte de la santé des femmes (en évoquant entre autres l’endométriose et la ménopause). Si l’on se rend compte que les inégalités coûtent cher, cela va peut-être faire bouger les choses ! Nous devrions aussi réaliser des études sur la force et les compétences que développent les femmes atteintes par la maladie, car certaines de ces femmes ont réellement un parcours impressionnant de résilience au cours duquel elles ont développé des stratégies de « survie », de l’intelligence et une très grande force.

 

  • Est-ce que, selon vous, déconstruire les « idées reçues » à propos de l’endométriose peut contribuer à libérer la parole des femmes sur le sujet, notamment au travail ? Notamment celles présentes sur les réseaux sociaux ?

Encore une fois, je pense que les réseaux sociaux regroupent à la fois le pire et le meilleur. Effectivement ça peut être un outil permettant de mieux comprendre et de s’adresser à tout le monde. Cela a permis aux jeunes femmes de prendre conscience que la douleur n’était pas normale. Cette déconstruction est très importante et doit se faire par les réseaux sociaux, comme elle doit se faire dans les écoles, les collèges, les lycées et les entreprises. Finalement, il faut agir partout où les femmes se trouvent et toucher ce sujet du doigt, parce que ça reste quelque chose de mystérieux et lointain. Les femmes se demandent toujours si elles sont « assez mal » pour alerter. Il y a une forme de minimisation et d’autocensure. C’est donc par ça qu’il faut commencer, par la libération de la parole des générations à venir pour qu’ils.elles développent les bons réflexes par rapport à l’endométriose.

 

  • Avez-vous un dernier message à adresser aux femmes, au grand public et aux entreprises ?

Il est nécessaire d’ouvrir et de maintenir des conversations autour du sujet pour continuer à libérer la parole et faire vraiment face à la réalité de la pathologie et à ses conséquences. C’est ce qui permettra de faire avancer sa prise en compte et sa prise en charge. C’est tout le rôle de la Fondation et des associations de patientes, mais j’aimerai aussi dire que c’est le rôle de tout le monde, car nous sommes tous et toutes touchées, de près ou de loin.

 

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