Interview de Sophie Tardieu et de Florence Bretelle – La Maison des Femmes Marseille Provence

6 mars 2023

Créée en 2022, la Maison des Femmes Marseille Provence est un lieu unique d’accueil, d’écoute, de soin, d’accompagnement et d’orientation pour les femmes vulnérables et victimes de violences. La Fondation RAJA-Danièle Marcovici s'est entretenue avec Sophie Tardieu, responsable du parcours « Education et Prévention en santé sexuelle et affective » et Florence Bretelle, cheffe de service sur cette nouvelle Maison des Femmes.

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1 – Vous avez co-fondé la Maison des Femmes de Marseille. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une Maison des Femmes (MDF) ? Pourquoi est-ce important pour la ville de Marseille ?

Nous sommes un petit groupe de 5 femmes, professionnelles de santé, qui avons cofondé la Maison des femmes Marseille Provence.  L’objectif initial était de dupliquer le modèle de Saint Denis, créé par le Dr Ghada Hatem.

Ouverte en janvier 2022, La Maison des femmes Marseille Provence est un lieu unique dans lequel nous prenons en charge des femmes victimes de violences. La Maison des femmes, c’est avant tout un service de soins de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, nous sommes une unité de consultation, localisée à l’hôpital de La Conception à Marseille.

Il y a 14 Maisons des femmes, aujourd’hui en France. Elles reposent sur le même modèle :

  • Un guichet unique,
  • adossé à un hôpital,
  • qui propose une prise en charge globale (médicale, psychique, sociale et juridique), qu’il s’agisse de consultations individuelles ou d’activité de groupe.

A Marseille, nous prenons en charge les femmes selon 3 parcours de soins :

  • Les femmes victimes de tout type de violences : physiques, psychologiques, sexuelles et sexistes, conjugales, intra familiales, actuelles ou passées.
  • Les femmes victimes de mutilations sexuelles.
  • Les femmes enceintes en situation de violence.

Nous avons également un 4e parcours très important, qui est un parcours de prévention et éducation en santé sexuelle et affective. C’est bien de soigner mais c’est encore mieux prévenir et éduquer la population ! Pour nous, professionnels de santé, l’éducation est le vecteur de la prévention des violences faites aux femmes.

C’est dans ce parcours que nous développons des formations innovantes en lien avec Aix Marseille Université, notamment le programme « Women 4 Women » un programme de pair-éducation autour de la santé des femmes, pour les femmes par les femmes.

La Maison des femmes Marseille Provence est la 1ere structure de ce type en région PACA. Ce type de structure n’existait pas encore à Marseille. Certes, le tissu associatif est très dense mais il n’existait pas de lieu dont la porte d’entrée principale était le soin, avec une prise en charge dédiée aux femmes victimes de violence. Nous avons répondu à un besoin sur le territoire marseillais.

Les chiffres 2022 de la violence conjugale à Marseille c’est :

  • 4292 victimes de violences conjugales soit 12 violences conjugales par jour.
  • 2800 affaires traitées par le Procureur.

A l’AP-HM, sur une année, près de 400 femmes ont dû être hospitalisées des suites de violences conjugales, près de 80 n’avaient pas 18 ans.

 

2 – Par rapport à d’autres formes de violences, quelles sont les particularités des violences conjugales ?

Les violences conjugales ont ceci de particulier qu’elles se passent dans le cercle intime. Toute violence conjugale est basée sur une relation de domination au sein du couple. Il ne s’agit pas d’un simple conflit. Elles sont intentionnelles et répondent à un processus sous tendu par l’emprise de l’auteur sur la victime. Les violences conjugales peuvent prendre différentes formes : violences verbales, violences physiques, violences psychologiques, violences sexuelles, violences administratives et économiques… bien sur ces types de violences peuvent co-exister au sein du couple.

Dans ce contexte de violences conjugales, les enfants sont considérées comme co-victimes à partir du moment où ils se trouvent sur le lieu des violences.

La violence conjugale entraine des conséquences graves sur la santé psychique, la santé somatique de la victime mais également en termes de santé sexuelle et affective qui peuvent aller jusqu’au décès de la victime. Des études récentes ont montré que les femmes victimes de violences perdaient 1 à 4 années de vie en bonne santé.

Ces violences sont sanctionnables par la loi.

 

3 – Quel est le processus d’accueil classique lorsqu’une femme se rend à La Maison des Femmes pour obtenir de l’aide ? Vers qui sont-elles redirigées après leur arrivée ?

Les femmes arrivent à la MDF selon différents adressages. Elles peuvent être adressées par un service clinique de l’hôpital (les urgences, le service de gynéco-obstétrique, la psychiatrie, les services somatiques), elles peuvent être également adressées par des structures d’hébergement avec qui nous avons des liens de partenariat, des associations qui accompagnent les femmes victimes de violence et qui n’ont pas accès aux soins médicaux. Environ 10 % des femmes viennent parce qu’elles ont entendu parler de la MDF dans les médias.

L’accueil à la Maison des femmes est inconditionnel. Les femmes ont un 1er contact (physique ou téléphonique) avec le secrétariat qui permet d’objectiver le niveau d’urgence, puis un 1er entretien d’évaluation. Il s’agit d’une évaluation pluridisciplinaire, menée par deux professionnels de santé, un professionnel médical (gynécologue ou sage-femme) et un professionnel non médical (psychologue ou assistante sociale). Une évaluation des besoins médicaux, psychiques, sociaux et juridiques est réalisée lors de cet entretien. Puis un parcours de soins est proposé à la femme en fonction de ces besoins et de sa temporalité : des consultations gynécologiques, obstétricales, sexologiques, psychiatriques, psychologiques, un accompagnement social, juridique (avec une permanence d’avocats au sein de la MDF) mais également des activités de groupe permettant aux femmes de retrouver une estime de soi souvent perdue (groupe de parole, ateliers de karaté…). L’objectif est de prendre en charge les conséquences de la violence sur leur santé, les faire sortir du cycle de la violence et leur redonner une autonomie dans leur vie.

 

4 – Si un ou une proche est victime de violences conjugales, comment peut-on l’aider ?

4 mots : Ecouter – Croire – Accompagner – Orienter

Il est extrêmement dur pour les femmes de verbaliser le fait qu’elles sont victimes, notamment pour les victimes de violences conjugales. On touche au « très intime ». C’est un long cheminement que nous accompagnons à la Maison des femmes. Chaque femme a sa temporalité. Il ne faut pas brusquer cette temporalité. Nous sommes persuadées que « dire c’est faire exister les choses ».

 

5 – Les chiffres des violences conjugales sont effroyables : 147 féminicides en 2022 (#NousToutes), 398 310 enfants co-victimes en 2021 (HCE). Comment expliquez-vous la hausse des violences conjugales ces dernières années ?

Les chiffres font froid dans le dos :

  • 220 000 femmes subissent des violences conjugales.
  • 1 femme sur 10 est victime de violences conjugales en France au cours des 12 derniers mois.
  • 85 % des victimes de violences conjugales sont des femmes.
  • Une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint.
  • 7 % des femmes seront victimes d’un viol au cours de leur vie, majoritairement par un proche.
  • 30 % des cas de violences conjugales débutent lors de la première grossesse.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la hausse des violences conjugales :

  • Tout d’abord le fait que l’on en parle plus ouvertement, bien sûr il y a eu le #MeToo et le Grenelle des violences conjugales en 2019. La parole des femmes s’est libérée.
  • Le COVID a eu un impact également négatif sur les violences en confinant les couples et les familles.

En parallèle,

  • Il y a eu également une amélioration de l’accompagnement et de la prise en charge des femmes victimes, notamment au niveau de la Police et de la Justice mais également au niveau des professionnels de santé.
  • Le dépistage devient plus systématique au sein des professionnels de santé. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé publiées en 2019 sont davantage connues. Les professionnels sont mieux formés à ce dépistage et les outils se développent.
  • L’éducation s’est également renforcée, il s’agit d’ailleurs d’une des missions de la Maison des femmes. « Soigner ces femmes victimes de violences c’est bien, prévenir sensibiliser c’est encore mieux ». Pour nous, l’éducation est clairement le vecteur de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Alors certes, il y a encore beaucoup à faire quand on regarde les chiffres des violences, les chiffres de l’éducation à la santé sexuelle chez les plus jeunes, mais tous ensembles (politiques, professionnels de santé, police, justice, associations) nous sommes sur la bonne voie !

 

Sophie Tardieu : Praticien hospitalier de Santé Publique depuis 2001 à l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, spécialisée dans le domaine de la périnatalité, le Dr Sophie TARDIEU a co-fondé en 2022 la Maison des femmes Marseille Provence avec le Pr Florence BRETELLE, le Dr Hélène HECKENROTH, le Dr Anaïs NUTTALL et Françoise CERRI. Au sein de la Maison des femmes, Sophie TARDIEU est responsable du parcours « Education et Prévention en santé sexuelle et affective ». Elle met en place des actions de santé publique à destination des différentes populations cibles, construit des programmes innovants d’enseignement et formation se basant notamment sur des concepts de pair-éducation et d’ « aller vers ». Elle est également en charge du développement des partenariats et du mécénat pour La Maison des femmes. Elle fait partie du Collectif Re#Start qui rassemble les Maisons des femmes au niveau national.

 

 

 

Florence Bretelle : Elle est Professeur des Universités et Praticien Hospitalier en Gynécologie Obstétrique à la faculté de médecine de MARSEILLE à l’Université d’AIX-MARSEILLE, Chirurgien des hôpitaux, Gynécologue obstétricien à l’AP-HM. Elle assure également les fonctions de Chef de service de la Maternité de l’Hôpital de la Conception à MARSEILLE (maternité de type 3) et est Présidente du « Réseau Méditerranée », réseau de périnatalité de la région Provence Alpes Côte d’Azur. Chef de service de la Maison des Femmes Marseille Provence depuis sa création en 2022, la Maison des Femmes Marseille Provence est un service de l’AP-HM. Son fonctionnement repose sur une équipe fondatrice incluant les Dr Heckenroth, Tardieu, Nuttall et Mme Cerri, sage-femme. L’équipe opérationnelle qui reçoit les femmes et organise leurs parcours doit doubler en 2024 dans nos nouveaux locaux attendus pour fin 2023.

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