Interview de Raphaël Danglade : la cuisson propre, double combat pour les femmes africaines

12 juin 2024

Raphaël Danglade est un expert dans le domaine du climat et du développement en lien avec l’Afrique et l’Europe. Il occupe actuellement la position de responsable du portfolio climat et développement à la Fondation Afrique-Europe. Il apporte son expertise sur diverses thématiques cruciales telles que le climat, l'énergie, les systèmes agroalimentaires, l'économie bleue, les marchés du carbone et l'adaptation.

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  • Le 14 mai dernier, s’est tenu à Paris le sommet de la « cuisson propre » pour soulever le problème de la cuisson rudimentaire, concernant 90 % des Africains à l’heure actuelle. En quoi les modes de cuisson actuellement utilisés en Afrique peuvent-ils être considérés comme « rudimentaires » et dangereux pour les personnes qui les utilisent ?

A l’heure actuelle, on considère qu’il existe environ 2,6 milliards de personnes sur terre qui cuisinent encore avec des modes de cuisson qui ne sont pas propres, en Afrique plus particulièrement. C’est notamment le cas en Afrique subsaharienne, où il existe 900 millions de personnes qui cuisinent avec des modes de cuisson qui ne sont pas dits « propres », autrement dit 4 familles sur 5. Ces personnes cuisinent généralement avec du bois, du charbon ou du kérosène, ayant des conséquences directes sur les forêts et la qualité de l’air dans les foyers, notamment pour les femmes et enfants. Il faut s’imaginer qu’en Afrique subsaharienne, toutes ces formes de cuisson rudimentaires sont utilisées et entraînent des impacts sur la santé humaine et environnementale. L’effet sur la santé est préoccupant car il contribue à la mort prématurée de 500.000 enfants et femmes par an. Vous comprendrez donc qu’il est essentiel d’en parler.

 

  • En quoi les africains et les femmes africaines sont plus susceptibles d’être touchées par les modes de cuisson rudimentaires ? Et en quoi est-ce que l’enjeu des modes de cuisson est à la croisée du combat en faveur de l’égalité de genre et de la lutte contre la crise climatique ?

Les effets des modes de cuissons rudimentaires sont néfastes sur tout type d’environnement, aussi bien humain que naturel. Cependant, les femmes et les enfants sont les premières victimes dans la mesure où, sur le continent africain, cette problématique concerne ceux qui passent le plus de temps à cuisiner, notamment par le fait de nourrir les différents foyers, que ce soit de manière individuelle ou en communauté. Lorsqu’on évoque les impacts des modes de cuisson dit « non propres », on parle surtout d’émissions de gaz à effet de serre, de carbone noir sous forme de fumée directement inhalée par les femmes et les enfants. En effet, ce sont les premier.ère.s à inhaler de la fumée noire, et ça a un impact direct sur la condition de leurs poumons et leurs respirations. C’est contre ça qu’il faut agir et pour ces raisons qu’il faut réduire ces risques et apporter des solutions. Le Sommet de l’Agence Internationale de l’Energie pour une cuisson propre en Afrique de mai dernier nous rappelle que dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations Unies, la communauté internationale s’est engagée à fournir un accès universel à des modes de cuisson propres d’ici 2030.

La cuisson propre est à la croisée de nombreux chemins, autant au niveau de l’implication des populations concernées et plus précisément les femmes et les enfants, qu’au niveau de la santé humaine et celle de l’environnement. En effet, il existe aujourd’hui énormément de déforestation du fait du manque de solutions accessibles et abordables pour les populations concernées. C’est avant tout un problème de développement qui touche plusieurs domaines qui sont tous, d’une certaine manière, interconnectés.

 

  • De manière à contrer ce problème, nous avons vu émerger des modes de « cuisson propre ». Pouvez-vous nous expliquer en quoi ils consistent, où sont-ils déjà déployés et quels en sont les bénéfices, surtout pour les femmes africaines ?

Le 14 mai dernier, le sommet pour une cuisson propre en Afrique, organisé par l’Agence Internationale de l’Energie à Paris, à l’UNESCO, a permis de mettre ce sujet sur la table des décideurs politiques aussi bien européens qu’africains. Aujourd’hui, l’objectif est de prioriser ce sujet et de faire en sorte que cette thématique soit véritablement soutenue par les décideurs politiques et les bailleurs de fonds, notamment en s’assurant qu’on puisse déployer un certain nombre de solutions sur le terrain. Dans ce cadre, un certain nombre de solutions ou technologies émergentes existent, comme l’utilisation du gaz liquéfié naturel. Il existe également des technologies basées sur l’électrique et le compost issu de résidus en lien avec agriculture sous forme de briquettes. Aujourd’hui, c’est vers l’électrique qu’on se tourne le plus et dans ce contexte qu’on essaye de faire avancer une vision commune et des investissements qui concerne à la fois l’accès à l’électricité, la transformation des systèmes énergétiques, et l’apport de modes de cuissons propres à travers le continent Africain.

 

  • Selon vous, comment pouvons-nous encourager l’adoption de la cuisson propre dans les communautés à faible revenu ? Quelles stratégies adopter pour rendre ces modes de cuisson plus accessibles et abordables pour les femmes africaines ?

Aujourd’hui, ce qu’il faut c’est réussir deux choses à la fois : rendre ces modes de cuisson avant tout accessibles financièrement et disponibles pour les communautés en ayant le plus besoin, tout en s’assurant que cette thématique soit prise au sérieux par les décideurs politiques et bailleurs de fonds internationaux. Pour donner un exemple qui fait suite à la COP 28 à Dubaï, les chefs d’Etat de la Sierra Léone et le Kenya ont décidé d’établir des unités de délivrance pour cuissons propres au sein de leurs gouvernements. Celles-ci permettent de prendre le sujet au sérieux, créer davantage de coordination au sein des différents ministères, et définir conjointement une feuille de route avec différentes agences internationales pour le déploiement de programmes à échelle nationale.

En termes de financement, investir dans les modes de cuissons propres est un investissement pour l’avenir du continent africain. Encore aujourd’hui, la subvention aux modes de cuissons propres est le principal mécanisme de financement mais il faut clairement réfléchir à des formes de financement plus innovantes, par exemple se tourner vers les crédits carbones. En quantifiant les émissions évitées par des modes de cuissons propres, on peut faire émettre des crédits carbones que l’on peut vendre sur les marchés du carbone. Ce type d’approche est en plein développement et les gouvernements africains travaillent à la mise en place de cadres plus rigoureux avec plus de transparence pour assurer l’intégrité et la qualité des crédits carbones. L’Europe, avec son expertise dans le domaine peut accompagner les pays africains dans leurs démarches.

 

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