Interview de Nisreen Elsaim : « La guerre au Soudan : les droits humains en péril »

4 août 2023

Nisreen Elsaim est une jeune leader soudanaise, la présidente du Sudan Youth Organization on Climate Change (SYOCC) et membre du groupe consultatif des jeunes sur le changement climatique du Secrétariat général des Nations unies. Elle passionnée par le changement climatique et la gouvernance environnementale. Elle est titulaire d'un Master of Science en énergies renouvelables de l'Université de Khartoum. Actuellement, elle poursuit et défend la paix, la démocratie sociale, la justice et les droits de l'homme.

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  • Le Soudan traverse aujourd’hui une guerre. Pouvez-vous faire le point sur cette situation extrêmement préoccupante ? Quel est l’historique de ces affrontements ?

Les médias rapportent que ce que traverse le Soudan est une guerre civile. En réalité, ce n’est pas le cas : les origines de cette guerre remontent à 2003 avec le gouvernement dictatorial précédent. Ce dernier, qui soutenait le terrorisme, a créé une milice au sein de l’armée pour effectuer des actions que l’armée ne pouvait pas faire elle-même. Cette milice comptait près de 20 000 combattants provenant de différentes régions : Soudan, Afrique centrale, Niger, Tchad… Avec les années, la milice a pris de l’ampleur et aspire désormais à revendiquer le pouvoir. Elle s’est donc retournée contre l’organe qui l’avait créée à l’origine.

Au début de leur soulèvement, surtout les premiers jours, les miliciens visaient les zones, maisons et bâtiments militaires. Mais les pillages et la guerre ont progressé et ils se sont mis à viser de plus en plus les civils. Progressivement, l’armée soudanaise n’avait plus d’infanterie. Toutes les unités militaires de terre étaient issues de la milice. Le seul moyen pour réprimer ce soulèvement était de faire appel à l’armée de l’air. En général, celle-ci visait les zones et quartiers où campaient les miliciens. Mais, des dégâts collatéraux étaient souvent constatés : l’armée de l’air détruisait par inadvertance des habitations, des quartiers et des commerces.

Ainsi, les habitants du Soudan, et en particulier ceux qui se situent dans les zones de conflit, sont tués par les miliciens ou par les bombardements de l’armée de l’air ou meurent de la faim ou de l’absence de médicaments car ils sont cloitrés chez eux. Les gens souffrent de multiples manques et notamment d’une pénurie de médicaments à cause de la guerre.

 

  • Dans quelle mesure les femmes et les filles sont-elles particulièrement menacées en cette période de conflit ?

A l’origine, lorsque le précédent gouvernement dictatorial était au pouvoir, les femmes et les filles étaient particulièrement ciblées par les mesures restrictives du régime. Elles encouraient par exemple le risque d’être emprisonnées si elles se promenaient dans la rue en pantalon. La loi permettait aux policiers de déterminer si les tenues des femmes et des filles étaient appropriées ou injurieuses.

Néanmoins, en décembre 2018, ce sont les femmes et les filles qui ont entamé la première marche contre la dictature. En 2019, la révolution soudanaise a débuté. La même année, la dictature a été renversée et un gouvernement civil a été mis en place. A alors débuté une période de transition.

Malheureusement, avant la fin de cette période, en octobre 2021, un coup d’Etat à l’encontre du nouveau gouvernement a été perpétré, ce qui a engendré de nouveaux problèmes d’insécurité.

Et comme à chaque épisode d’insécurité, les femmes ont été les premières cibles.

Les femmes ont tout d’abord été victimes d’enlèvements. Tous les âges sont visés. Elles ont été asservies et contraintes aux tâches ménagères des soldats ou ont été utilisées comme esclaves sexuels et vendues dans des marchés. Certaines d’entre elles sont parvenues à s’échapper et ont dénoncé les situations inhumaines qu’elles avaient subi, tandis que d’autres ont trouvé la mort. Dans les zones où la milice est présente, les corps de femmes jonchent les rues. Les survivantes qui ont rejoint des zones plus sûres rencontrent des problèmes sanitaires : elles n’ont pas accès aux serviettes hygiéniques lors de leurs menstruations car, comme le shampoing ou la crème, ce produit n’est pas considéré comme un nécessaire de survie. Les situations vécues des femmes sont ainsi très variées.

Puis, la milice empêche ces dernières de se rendre à l’hôpital. Par exemple, une femme soudanaise enceinte a tenté de se rendre dans une clinique avec son père pour accoucher. Les miliciens ont ouvert le feu et elle a perdu la vie avant de parvenir à l’hôpital. Son bébé qui a survécu est né orphelin.

L’armée procède également à une mobilisation générale des civils. Les hommes mais aussi les femmes sont contraints de rejoindre les rangs. Beaucoup parmi elles ne veulent pas se battre ou n’ont aucune expérience du combat et du port d’armes. Jusqu’ici au Soudan, les femmes pouvaient être policières mais pas militaires.

 

  • Comment envisagez-vous la suite des évènements ?

Des négociations sont en cours mais elles ne semblent pas prometteuses. Si les affrontements venaient à cesser maintenant, d’importants problèmes persisteraient.

Premièrement, lorsque la guerre a éclaté, 31 000 criminels ont retrouvé leur liberté et courent maintenant les rues. Les prisons avaient été ouvertes car il n’y avait ni eau, ni électricité, ni nourriture. Certains pénitenciers avaient également été attaqués.

Dans un deuxième temps, il y a beaucoup de pillages. Des bandes organisées ont volé de nombreuses denrées dans les magasins. Elles se sont aussi emparées d’un entrepôt contenant un grand nombre d’armes. Elles sont aujourd’hui lourdement armées, ce qui engendre beaucoup de violence lors des affrontements. Il y a par conséquent un problème de sécurité et d’attaques faites aux biens : des centrales électriques, hôpitaux, écoles et des centrales de traitement de l’eau ont été détruites. Cela demandera beaucoup de réparation et d’efforts pour rétablir l’ordre.

Le dernier défi est d’ordre politique : à la fin de la guerre, le régime qui restera au pouvoir sera probablement de nature militaire et donc autoritaire et agressif et prétendra maintenir la paix et la sécurité.

 

  • Quelles recommandations souhaiteriez-vous formuler à l’attention des personnes souhaitant faire des dons ou agir face à ce qu’il se passe au Soudan ?

Le Soudan est aujourd’hui très divisé. Tous les secteurs sont fragilisés. Les civils manquent de tout : médicaments, abris, protections sanitaires pour les femmes …

Les donateurs peuvent donc intervenir de multiples manières à condition de passer par des canaux de confiance comme les ONG et surtout pas par le gouvernement soudanais.

De plus, étant donné que la communauté internationale garde le silence concernant cette guerre, il est primordial de parler et de faire connaître ce qui se passe ici.

 

  • Quel message souhaiteriez-vous adresser aux acteurs de la sphère internationale [organisations non-gouvernementales, gouvernements…] ?

Je souhaite faire savoir à la communauté internationale que ce qui se passe au Soudan est inacceptable. De manière générale, quand un Etat entre en guerre, les organisations humanitaires sont déployées sur le terrain. Dans le cas du Soudan, elles restent bloquées en dehors des frontières, aucune action n’est entreprise. Les organisations locales refusent d’apporter une aide concrète en prétextant travailler déjà avec leurs partenaires.

Je déplore également la négligence médiatique de la guerre au Soudan. Il y a là une certaine forme de racisme : l’opinion commune voit l’Afrique comme un continent où les guerres sont habituelles et se produisent de manière récurrente. Ce n’est pas vrai.

Il est par ailleurs important de prendre des mesures en faveur des jeunes. Beaucoup parmi eux ont perdu leur emploi ou interrompu leurs études. Ils ne peuvent pas vivre durablement d’aides sociales. Il serait donc pertinent de créer des partenariats avec des universités ou que des pays frontaliers leur permettent à distance de retrouver un emploi.

 

  • Nisreen Elsayem, vous a été lauréate de l’initiative Marianne pour les défenseurs des Droits de l’Homme en mars 2022. Selon vous, dans quelle mesure un engagement en faveur des droits humains est aussi un engagement féministe ?

De manière évidente, les femmes représentent plus de la moitié de l’humanité et sont donc inclues dans la notion de droits humains. Pourtant, en réalité, il est souvent considéré que les problèmes liés aux femmes sont secondaires. Par exemple, au Soudan, les femmes ont été à l’origine de la Révolution. Quand il a été question de la composition du gouvernement, elles ne représentaient que 15% de l’effectif politique et ont été accusées de détourner l’attention des questions importants.

Les femmes rencontrent des freins pour faire entendre leur voix.

En ce qui me concerne, je suis très préoccupée par la question des droits environnementaux. Aujourd’hui les rapports sur les enjeux climatiques se multiplient mais aucun ne porte sur les conséquences qu’a la guerre sur l’environnement.

 

  • Un mot pour conclure ?

Les gens traitent souvent les guerres sous un angle quantitatif. En réalité, il n’est pas question du nombre de victimes mais bien celles de la vie des personnes. Un mort c’est souvent sept membres d’une famille endeuillés, c’est pour eux la perte d’une mère, d’un père, d’un frère… Nous vivons en communauté et pour cela, bénéficier de protection et de soutien est primordial. Lorsqu’une fille subit un viol, c’est une famille entière qui est traumatisée. Elle et son clan ne pourront jamais retrouver une vie normale, d’autant plus que les histoires des victimes de viol sont difficilement acceptées par la société.

Des vies réelles sont menacées au Soudan, perturbées et enlevées par cette guerre.

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