Interview de Natascia Maesi : le recul des droits des femmes et des LGBTQI+ en Italie

6 novembre 2023

Natascia Maesi est journaliste depuis 2001. De 2010 à 2015, elle a animé l'émission de radio "Au-delà des différences", diffusée sur Antenna Radio Esse. De 2010 à 2016, elle a collaboré avec le journal QN / La Nazione, pour lequel elle a également rédigé une chronique en ligne dédiée aux questions LGBTQI+ et une chronique hebdomadaire dans le journal de Sienne portant sur la condition des femmes. Au sein du Mouvement Pansexuel-Arcigay, elle est chargée des relations avec les institutions et le réseau des associations. Elle est également coordinatrice du groupe scolaire et fondatrice du réseau d'écoute et des premiers points d'accueil pour les personnes LGBTQI+ intitulé "Focalisons sur les différences/Espace sûr". Elle a dirigé l'équipe de communication de Toscana Pride. Elle s'intéresse aux questions liées à la visibilité et à l'autodétermination des femmes lesbiennes, bisexuelles et trans au sein du Réseau des femmes d'Arcigay. Depuis 2016, elle fait partie du Réseau de formation d'Arcigay et depuis novembre 2018, elle est membre du secrétariat national d'Arcigay, avec la responsabilité des politiques de genre et de la formation.

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  • Georgia Meloni, cheffe du parti nationaliste Fratelli d’Italia, est devenue Présidente du Conseil des ministres d’Italie en 2022. Quelles menaces la montée en puissance d’un parti d’extrême droite peut-elle représenter pour les droits des femmes ?

Être une femme ne suffit pas pour être le véritable allié des autres femmes ou pour plaider efficacement en leur faveur.

« Le leadership de Meloni n’est indéniablement pas féministe, car il perpétue activement les structures de domination masculine en utilisant des méthodes et des outils stéréotypés et patriarcaux au lieu de remettre en question le système patriarcal lui-même. »

Par exemple, dès le début de sa présidence, au lieu de garantir la mise en œuvre totale et efficace de la loi n° 194 du 22 mai 1978, qui protège la maternité et le droit à l’interruption volontaire de grossesse, Meloni a déclaré son intention politique de protéger les droits des femmes en empêchant les femmes elles-mêmes d’avoir recours à des avortements sûrs.

En agissant ainsi, elle a mis en lumière plusieurs contradictions évidentes : elle a publiquement affirmé vouloir promouvoir activement la maternité, mais, lorsqu’elle était au pouvoir, elle n’a pas investi les fonds publics issus du Plan national de relance et de résilience italien dans l’augmentation du nombre de crèches et dans l’adoption de mesures structurelles visant à réduire les écarts de genre à plusieurs niveaux. Bien qu’elle déclare officiellement aspirer à lutter contre les violences sexistes, Meloni ne soutient pas, et pire encore, entrave ouvertement l’adoption de programmes éducatifs sur la diversité et l’équité, la santé sexuelle et reproductive, l’inclusivité SOGIESC[1]  et le consentement à l’école. Le gouvernement actuel est manifestement soutenu par des organisations et des mouvements anti-avortement, anti-LGBT et hostiles aux personnes transgenres, qui relèguent les femmes transgenres au statut de citoyennes de deuxième classe et leur refusent les mêmes droits et protections auxquels les citoyens de première classe ont pleinement droit.

En conclusion, en promouvant l’adoption totale du projet de loi Varchi visant à introduire le crime universel de gestation pour autrui dans le code pénal national, le gouvernement actuel entend priver les femmes de leur autodétermination et de leur droit de décider de leur propre corps.

 

  • Au mois de juillet 2023, 33 familles italiennes ont reçu un courrier des autorités les invitant à rayer de l’acte de naissance de l’enfant la mère non biologique. Pouvez-vous décrypter cet évènement ?

Le gouvernement de Meloni a déjà déclaré la guerre ouverte aux familles LGBTQI++. Le gouvernement, par un abus flagrant du pouvoir institutionnel, a eu recours à la bureaucratie pour priver les parents de même sexe de leurs droits parentaux au lieu de les reconnaître. Le paradoxe est éloquent : tout en prétendant agir dans l’intérêt supérieur des enfants, le gouvernement de Meloni empêche les enfants de parents de même sexe de bénéficier pleinement de leur droit fondamental à l’identité. Une identité personnelle qui, selon la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour constitutionnelle italienne, se développe progressivement et s’établit en vertu de la reconnaissance parallèle des deux parents au sein d’un environnement familial stable.

La circulaire émise par le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, le 7 août, enjoignant aux conseils locaux de ne noter que les parents biologiques des enfants de couples de même sexe tout en laissant leurs partenaires dans une zone grise légale, était un geste politique clairement intimidant avec deux objectifs clairs : forcer les procureurs à demander aux maires locaux de supprimer le nom du parent non biologique des actes de naissance des enfants de familles de même sexe ; traduire en justice les maires qui ont politiquement et administrativement opté pour l’enregistrement de la double parentalité dans des cas précédents. En conséquence des épisodes susmentionnés, la vie quotidienne des familles homoparentales a été plongée dans l’incertitude, les enfants issus de couples  de même sexe étant privés de la reconnaissance légale de l’un de leurs parents.

Dans le même temps, en l’absence persistante d’une loi nationale établissant les droits parentaux des couples de même sexe, les parents non biologiques n’avaient d’autre choix que de se battre juridiquement pour la reconnaissance formelle et substantielle de leurs droits parentaux afin de pouvoir emmener leurs propres enfants à l’école, voyager à l’étranger avec eux ou recevoir des informations pertinentes sur la santé de leurs enfants lorsqu’ils étaient hospitalisés.

Par exemple, la ministre italienne de la famille, Eugenia Roccella, a suggéré aux parents non biologiques de couple de même sexe de demander une adoption spéciale dans le cadre d’une gestation pour autrui effectuée à l’étranger, étant donné que les techniques de procréation médicalement assistée et l’adoption à part entière sont toujours interdites aux couples de même sexe en Italie. Or cette solution, publiquement approuvée par la ministre, représente une procédure longue de plusieurs années et coûteuse et n’est pas capable de résoudre des problèmes pratiques tels que l’obligation, toujours en vigueur en Italie, d’inscrire les noms d’un père et d’une mère sur la carte d’identité.

L’intention du gouvernement est d’annuler formellement et substantiellement toutes les familles qui ne correspondent pas au paradigme patriarcal de la seule famille nucléaire valide basée sur la coexistence d’un homme et d’une femme.

 

  • Quels autres dangers pourraient menacer la communauté LGBTQI+ italienne ?

Les villes italiennes n’ont jamais été intégralement sûres pour les personnes LGBTQI+. Étant donné que le gouvernement actuel propage de plus en plus la haine anti-LGBTQI+ au quotidien, les villes italiennes sont devenues encore moins sûres qu’elles ne l’étaient les années précédentes. Une homophobie subtile parrainée par l’État est au cœur même des discours publics très médiatisés prononcés par des politiciens de premier plan, légitimant ainsi la montée de la violence à laquelle les personnes LGBTQI+ sont exposées dans les rues chaque jour.

En l’absence de tout instrument juridique de lutte contre la discrimination, les personnes LGBTQI+ ont tendance à ne pas signaler les attaques homophobes auxquelles elles ont personnellement été confrontées, car elles ne se sentent pas protégées par le système public. Le gouvernement actuel encourage ce qu’il appelle la « liberté d’expression » en promouvant la diffusion généralisée du prétendu « droit » de haïr, d’insulter, d’offenser et d’attaquer les groupes minoritaires.

Nous nous attendons à ce qu’une persécution explicite cible les personnes transgenres et non binaires, qui font déjà l’objet d’une marginalisation croissante et d’un déni de leur droit à l’identité. Plusieurs tentatives visant à entraver l’introduction de programmes éducatifs inclusifs en matière de genre dans les écoles ont déjà été enregistrées dans toute l’Italie, faisant des écoles un véritable champ de bataille. En collaboration avec des organisations partenaires, le gouvernement actuel fait pression pour empêcher les organisations LGBTQI+ de sensibiliser dans les écoles, créant ainsi une panique sociale autour de la diffusion de la prétendue « théorie du genre » et incitant les directeurs d’école à ne pas adopter de programmes éducatifs sur l’éducation sexuelle complète. Selon mon avis personnel, ces programmes sont le moyen le plus efficace de lutter contre la violence sexiste.

 

  • Le rapport 2021 sur l’interruption volontaire de grossesse publié par le ministère de la santé italien montre que, en 2019, 67 % des gynécologues ont refusé de pratiquer l’IVG au nom de la clause de conscience. Quelles mesures mettre en place pour permettre aux femmes de disposer de leur corps ?

Pour garantir un accès gratuit et sécurisé à l’avortement, il est essentiel de réduire de manière significative le nombre de médecins objecteurs de conscience travaillant dans les hôpitaux publics. La rareté de professionnels de la santé non-objecteurs, notamment les gynécologues, les anesthésistes et les infirmières, oblige les femmes à avoir recours à l’avortement dans d’autres régions d’Italie. Cependant, les avortements médicaux sont souvent encore refusés, et la contraception gratuite est garantie uniquement aux membres de certains groupes d’âge et dans certaines régions. De plus, la contraception d’urgence n’est pas encore obligatoire dans les pharmacies.

Nous devons fortement plaider en faveur d’une discussion sérieuse sur la gestation pour autrui, car criminaliser ses bénéficiaires n’est pas une solution. Avant tout, nous ne pouvons pas accepter que l’État dicte comment les femmes doivent gérer leur propre corps. Nous avons besoin d’une médecine sensible au genre qui tiennent compte des besoins spécifiques en matière de santé des personnes trans. Il est nécessaire d’allouer davantage de financements à cet égard.

[1] Sexual Orientation, Gender Identity and Expression, and Sex Characteristics, en anglais, désigne la prise en compte et à la reconnaissance des diversités liées à l’orientation sexuelle, à l’identité de genre, à l’expression de genre et aux caractéristiques sexuelles

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