Interview de Nagham Nawzat – Reconstruire les vies des femmes yézidies

23 novembre 2022

Nagham Nawzat est une gynécologue du Kurdistan irakien qui se bat depuis 2014 pour les femmes yézidies qui ont été enlevées, torturées, violées et réduites en esclavage par l'État islamique. En 2016, elle a reçu le prix international Women of Courage du secrétaire d'État américain, reconnaissant le travail exceptionnel qu'elle accomplit. Elle a créé l'ONG « Hope Makers Organization for Women » pour aider ces femmes à se réinsérer dans la société et à reconstruire leur vie. Elle a reçu le Prix franco-allemand des droits de l'Homme et de l'État de droit en 2016 et fait partie de la première promotion de l'Initiative Marianne, mise en place par le président de la République française Emmanuel Macron en 2021. En 2022, elle est lauréate régionale pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord du Prix Nansen du Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU.

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Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de l’origine de vos actions pour aider les femmes yézidies ?

Je suis une gynécologue de la communauté Yézidi. Je suis née en 1976 à Baashiqa, près de Mossoul.

En 2014, des combattants de l’Etat islamique ont attaqué la ville de Sinjar, où vivait la plupart de la communauté yézidie. Ils ont commis des crimes horribles et ils ont tué plus de 2 000 hommes et femmes âgées qui refusaient de se convertir à l’islam. Ils ont capturé 6 500 femmes et enfants et les ont emmenés dans des zones contrôlées par l’Etat islamique. J’ai commencé à aider les femmes survivantes en septembre 2014, en consacrant ma vie à les soutenir.

 

On a beaucoup parlé des atrocités commises par l’État islamique contre la communauté yézidie depuis 2014. Selon vous, pourquoi cette communauté, et en particulier les femmes, ont-elles été ciblées ?

La religion yézidie est une religion pacifique qui ne rassemble que 1 200 000 personnes dans le monde. La majorité vit en Irak et au Kurdistan. Ils croient en Dieu, ont leur propre tradition et leur propre langue et essaient depuis longtemps de préserver leur identité. Ils respectent les autres religions et ont subi 73 génocides à travers l’histoire par les groupes islamiques extrémistes.

L’Etat islamique a attaqué cette communauté parce qu’il la considère infidèle. Lorsqu’une communauté est considérée comme infidèle, les hommes doivent se convertir, sinon ils sont tués. S’ils refusent, femmes et enfants deviennent esclaves.

 

Depuis plus de 8 ans, vous travaillez aux côtés de ces femmes pour les aider à reconstruire leur vie. Comment les aidez-vous au quotidien ? Votre action a-t-elle évolué depuis 2014 et pourquoi ?

Depuis 2014, j’ai consacré toute ma vie à soutenir les femmes survivantes de plusieurs façons :

  • Mise en place d’un programme de soutien à 1200 femmes survivantes (suivi de 5 ans, en les accompagnant et en les visitant dans les camps)
  • Signature d’un accord entre les gouvernements allemand et kurde pour emmener 1000 survivantes et leurs familles en Allemagne pour y être soignées. J’étais le médecin responsable du projet et j’ai visité plusieurs familles en Allemagne. J’ai appris à les connaître et j’ai pu faire part au gouvernement allemand de leurs difficultés.
  • Accompagnement des orphelins (soutien physique, conseils).
  • Plaidoyer pour la communauté yézidie en participant à des conférences aux niveaux national et international.
  • Etablissement d’une organisation appelée Hope Makers pour soutenir les survivants et les femmes dans le besoin.

 

Depuis la disparition de l’État islamique, où en sont les droits du peuple yézidi ? Où vivent-ils et dans quelles conditions ?

Le génocide yézidi a commencé en 2014 et il ne s’est pas arrêté depuis puisque plus de 2 700 femmes sont toujours portées disparues. Encore aujourd’hui, 250 000 Yézidis vivent dans des camps dans des situations extrêmement difficiles. Le Sinjar est devenu une zone de conflit. Il y a plus de 2 000 orphelins qui survivent sans aucune aide. Il n’y a aucune justice ou responsabilité pour ce que l’Etat islamique a commis contre le peuple yézidi.

 

Quels sont vos objectifs ?

Les dégâts psychologiques sont énormes : après tout ce qu’ils ont vécu et cela ne s’oublie pas, lorsqu’ils sont effectivement libérés, ils finissent dans des camps. La plupart d’entre eux ont perdu tous les membres de leur famille, ils n’ont donc personne pour les soutenir économiquement.

Mon objectif est de mettre en place différents projets pour autonomiser les femmes yézidies et d’ouvrir des centres pour les femmes survivantes au Sinjar afin qu’elles soient traitées médicalement et psychologiquement.

 

Y a-t-il un autre point ou une question que vous souhaiteriez soulever ?

Je crois que la communauté internationale et la société civile doivent trouver une solution pour protéger les femmes et les enfants qui sont les premières victimes de cette guerre.

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