Monique Gilliot, trésorière et chargée de projet à l’Association Humanitaire pour l’Afrique (AHPA), accompagne depuis de nombreuses années les femmes béninoises dans le renforcement de leur autonomie et dans le développement de solutions durables.
Au Bénin, l’Association Humanitaire pour l’Afrique accompagne – avec le soutien du programme Femmes & Environnement de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici – des femmes productrices de sel dans l’adoption de techniques de production plus respectueuses de leur santé et de l’environnement. Pouvez-vous nous expliquer concrètement cette nouvelle méthode et ce qu’elle change dans leur quotidien ?
Au Bénin, les femmes productrices de sel des villages côtiers continuent à valoriser une partie du savoir-faire traditionnel, en récupérant la saumure issue du sable salé des lagunes. Mais auparavant, la méthode consistait à faire bouillir cette eau salée jusqu’à évaporation complète, ce qui nécessitait une importante consommation de bois – souvent prélevé dans la mangrove – avec des conséquences néfastes sur la biodiversité et la santé des femmes exposées à la fumée et à la chaleur.
Avec le soutien de notre partenaire local, le Creuset de recherche d’identification et de promotion des alternatives de développement durable (CRIPADD), et l’appui technique d’un expert des marais salants de l’île de Ré, une méthode de production solaire a été introduite.
Les femmes versent désormais la saumure sur des tables surélevées recouvertes de bâches noires : l’évaporation se fait naturellement sous l’action du soleil, sans combustion, préservant ainsi l’environnement, la biodiversité et leur santé.
Trente-cinq femmes en bénéficient déjà dans plusieurs villages. La production est moins pénible, sans fumée ni brûlure, et compatible avec d’autres activités quotidiennes : « le soleil travaille pour nous », disent-elles souvent. En effet, le fait que l’évaporation se fasse naturellement grâce au soleil libère du temps : pendant que la saumure s’évapore, elles peuvent se consacrer à d’autres activités génératrices de revenus ou domestiques. Les effets sur l’environnement sont également positifs puisque la mangrove est protégée, évitant ainsi l’érosion des berges de la lagune.
De plus, cette technique prolonge la période de production : les femmes peuvent désormais produire du sel au-delà de la saison sèche, voire toute l’année pour celles installées près des côtes qui utilisent directement l’eau de la mer. Cela stabilise leurs revenus et crée une possibilité de vente continue sur les marchés locaux. Cette approche allie donc efficacité et durabilité.
Le principal défi reste le transport manuel de la saumure depuis les zones de lagunes, parfois éloignées des villages. Pour y remédier, le projet a renforcé l’équipement en tonneaux de stockage afin de limiter les allers-retours.
Ce projet, porté par Association Humanitaire pour l’Afrique, a remporté le Prix du Public organisé à l’occasion des 10 ans du programme Femmes & Environnement, ainsi qu’une dotation de 10 000 euros. Avec près de 2 500 votes recueillis à l’issu d’une campagne de vote en ligne, qu’avez-vous ressenti face à cet élan de soutien, et qu’est-ce que cette reconnaissance représente pour vous et pour les femmes bénéficiaires ?
Nous avons été très touchés par cet élan de soutien, d’autant plus que nous sommes une petite structure ayant de nombreux sympathisants, mais composée d’une douzaine de bénévoles seulement. Malgré des moyens limités, la mobilisation a été remarquable, notamment de la part des Béninois. Pour eux, ce vote a pris une dimension symbolique forte : c’était une manière de mettre en lumière leur pays et le savoir-faire des femmes productrices de sel. Cette reconnaissance a donc suscité une vraie fierté collective et donné une visibilité nouvelle au projet.
L’histoire est d’ailleurs allée au-delà de nos attentes : des Béninois, même installés à l’étranger, se sont spontanément engagés pendant la campagne de vote. L’un d’eux a coordonné depuis la France une vidéo de promotion avec des acteurs au Bénin, sans même nous connaître auparavant. Cette appropriation témoigne de l’attachement des communautés locales à ce projet.
Nous souhaitons désormais que cette reconnaissance profite pleinement aux femmes sur le terrain. Avec notre partenaire local, nous prévoyons d’organiser une réunion officielle pour partager avec elles le succès et l’enthousiasme suscités par ce projet, renforcer leur confiance et les encourager à poursuivre cette démarche innovante de production de sel durable. Il s’agira aussi de les sensibiliser à la valeur environnementale de cette méthode, qui contribue à préserver la mangrove et la biodiversité, afin qu’elles en soient elles-mêmes davantage convaincues et qu’elles puissent mettre en avant cet argument dans la promotion et la commercialisation de leur sel.
Aujourd’hui, certaines productrices combinent encore les méthodes traditionnelles et la technique du séchage solaire. Quelles sont les prochaines étapes prévues pour favoriser l’adoption complète de cette innovation ? Comment la dotation reçue de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici va-t-elle renforcer les perspectives de l’association pour développer et renforcer l’autonomie économique des femmes de la région de Ouidah, soutenues par l’association ?
La dotation permettra avant tout de renforcer les moyens des productrices pour qu’elles puissent produire davantage et toute l’année. Une partie des fonds servira à améliorer leur équipement, notamment en tonneaux de stockage de la saumure, afin d’allonger la période de production, mais aussi à étudier la possibilité de fournir de nouvelles tables de séchage solaire à celles qui souhaitent développer leur activité. L’objectif est d’encourager une forme d’investissement progressif, où les femmes réinvestissent une partie des revenus du sel pour accroître leur production et leur autonomie économique.
Mais l’enjeu n’est pas seulement matériel : il s’agit aussi de renforcer l’accompagnement et la formation. Beaucoup de productrices n’ont pas eu accès à l’éducation et peinent à estimer la rentabilité de leur activité. Le suivi mis en place avec notre partenaire local vise donc à les aider à mieux comprendre les aspects économiques du projet et à consolider leur gestion.
Enfin, nous souhaitons valoriser cette production durable auprès d’un plus large public. Un projet de tourisme solidaire est en développement dans la région, en partenariat avec une agence française, pour faire découvrir aux voyageurs les activités locales et le savoir-faire des productrices de sel. Cette ouverture sur l’extérieur, combinée à une meilleure mise en marché du sel écologique, représente une véritable opportunité de diversification des revenus et de reconnaissance du travail des femmes de Ouidah.
Pour voir le projet d’AHPA en images, visionnez la vidéo en cliquant ici !
Propos recueillis par Diane Dussans, chargée de projet à la Fondation RAJA-Danièle Marcovici.