Interview de Mar Merita Blat : la diplomatie féministe et les projets « genre & sport » de l’AFD

24 avril 2024

Experte en matière de genre à l’AFD, Mar Merita Blat œuvre depuis plus de 15 ans pour la promotion de l’égalité de genre en France et à l’étranger. Franco-espagnole, elle a travaillé pour le comité ONU Femmes France en tant que vice-présidente plaidoyer. Elle répond aux questions de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici. Cette interview a été réalisée dans le cadre de la campagne de sensibilisation "Genre & Sport" réalisée en partenariat avec Sciences Po.

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  • Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la diplomatie féministe ?

La diplomatie féministe se présente comme une évolution dans l’approche de la politique étrangère, plaçant la promotion de l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles au centre des enjeux internationaux.

Cette évolution est cruciale pour l’Agence Française de Développement (AFD), où elle se manifeste par l’incorporation des principes d’équité de genre dans l’élaboration des stratégies de développement. Initiée en 2014, l’AFD a développé un Cadre d’Intervention Transversal sur le Genre (CIT Genre 2014-2017) focalisé sur la réduction des inégalités de genre, visant à intégrer une perspective de genre dans ses programmes pour augmenter l’efficacité de son soutien au développement.

S’appuyant sur l’initiative CIT Genre, l’AFD a déployé un plan d’action pour l’égalité de genre (2019-2022) pour approfondir l’intégration de la dimension de genre dans ses opérations. Ce plan est aligné sur la stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les sexes (2018-2022 / 2023-2027) et se conforme au Plan d’Orientation Stratégique de l’AFD (2018-2022 / 2023-2027), qui positionne l’égalité de genre comme un pilier essentiel de son engagement pour le « 100% lien social ».

Le plan d’action pour l’égalité de genre vise à matérialiser la vision de la diplomatie féministe portée par la France, à travers une approche axée sur les droits et centrée sur les acteurs locaux. L’AFD s’engage ainsi dans une démarche ambitieuse pour atteindre l’Objectif de Développement Durable N°5.

Cette stratégie définit des priorités telles que l’autonomisation des femmes et des filles, la lutte contre les violences de genre, et l’intégration de la dimension de genre à travers tous les secteurs d’intervention du Groupe AFD. Une attention spéciale est accordée à la santé et à l’éducation, aux droits fondamentaux y compris les droits sexuels et reproductifs, ainsi qu’à la participation active des femmes dans le cadre de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, en particulier dans les situations de crises et de post-crises.

En adoptant cette approche, la diplomatie féministe affirme que l’égalité des genres n’est pas seulement un droit humain fondamental mais aussi un catalyseur essentiel pour le développement durable, la paix et la sécurité internationale. L’AFD, avec le soutien de la France, se positionne ainsi comme un réfèrent dans la promotion de l’égalité des genres, mettant en lumière l’importance capitale de cette thématique pour les politiques de développement et les relations extérieures.

 

  • Comment envisagez-vous l’avenir de la diplomatie féministe, et quelles évolutions espérez-vous voir dans les années à venir ?

Je perçois l’avenir de la diplomatie féministe avec optimisme. Nous nous attendons à des avancées substantielles, notamment à travers une intégration et amélioration de politiques et pratiques qui privilégient l’égalité de genre dans le cadre de notre mission de développement. L’adoption de méthodes transversales liées au genre, comme la budgétisation sensible au genre, le renforcement de la responsabilité, l’exploitation stratégique des retours d’expérience pour l’évaluation et le suivi des projets, ainsi que le développement de partenariats stratégiques, entre autres, constitue la base de notre approche pour intégrer les questions de genre efficacement à chaque étape des projets. L’élaboration d’une stratégie spécifique au genre, prévue pour la fin de cette année, marque une étape cruciale vers la consolidation de nos efforts et la mutualisation d’outils adaptés à nos objectifs de développement. Cette stratégie vise à centraliser les ressources et les connaissances sur les enjeux de genre, assurant une démarche cohérente et systématique dans tous nos projets.

Cependant, nous sommes conscients des défis persistants, tels que le manque de données désagrégées par sexe, les barrières socioculturelles, et les stéréotypes de genre. Nous abordons ces défis en initiant des groupes de travail avec les organisations de la société civile (OSC) (cf. FSOF) pour mieux intégrer les expériences et connaissances de terrain. Cette démarche collaborative et innovante est essentielle pour surmonter les obstacles rencontrés. Dans les années à venir, nous aspirons à renforcer le dialogue avec nos partenaires sur des sujets clés comme la prévention de la violence basée sur le genre (VSG) et la question de la masculinité. L’engagement des bailleurs de fonds internationaux et des organisations dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques de prévention est encourageant, mais il est impératif d’intensifier les efforts pour intégrer les perspectives de genre de manière globale dans la gouvernance et les initiatives de développement. L’évolution future de la diplomatie féministe dépendra de notre capacité à intégrer les enjeux de genre de manière cohérente et systématique dans nos politiques et pratiques de développement. La mise en place de stratégies genre institutionnalisées, l’application de bonnes pratiques dans nos projets, et un engagement renforcé auprès de nos partenaires sont cruciaux pour réaliser le potentiel transformateur de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes et des filles, conformément à notre engagement envers un développement inclusif et durable.

 

  • Selon vous, quel rôle le sport peut-il avoir dans l’émancipation des femmes et le combatcontre les inégalités de genre ?

Le sport se révèle être un vecteur significatif d’autonomisation pour les femmes et les filles, jouant un rôle crucial dans l’atténuation des disparités de genre. En mettant en lumière les aptitudes physiques et cognitives des femmes, le sport contribue à leur confiance en soi, à leur indépendance et à leur affirmation personnelle.

Il devient ainsi un espace privilégié pour le développement de compétences vitales comme la collaboration, la communication, la gestion de conflits et le leadership, compétences applicables dans les sphères professionnelle et personnelle, facilitant l’accès à des opportunités dans des secteurs souvent masculinisés. Au-delà de l’impact individuel, le sport sert de canal pour le plaidoyer et le changement social, en encourageant une prise de conscience sur les enjeux de l’égalité des genres.

Les succès et les trajectoires des femmes dans le monde sportif contestent les normes sociétales et stimulent une remise en question des stéréotypes de genre. Le sport crée également des opportunités économiques, que ce soit par le biais de carrières professionnelles ou le développement d’entreprises sportives, contribuant au développement économique des communautés et renforçant l’autonomie financière des femmes. Dès lors, l’AFD valorise le rôle du sport comme outil en faveur de l’autonomisation des genres, en soutenant des initiatives qui visent à faciliter l’accès des femmes et des filles au sport, à déconstruire les stéréotypes et à lutter contre les violences basées sur le genre. En promouvant l’égalité d’accès au sport dans les politiques publiques et en oeuvrant pour des infrastructures sportives inclusives, l’Agence participe à la création de forums de discussion sur des sujets essentiels tels que la santé mentale, l’égalité des genres, la lutte contre les stéréotypes et les violences basées sur le genre et l’éducation des filles. Des initiatives comme le support aux Jeux Olympiques de la Jeunesse au Sénégal, l’encouragement du rugby féminin en Afrique, ou l’initiative « Pour Elles – Sport et Culture » en République Démocratique du Congo, illustrent l’engagement à utiliser le sport comme un moyen de combattre les inégalités de genre. Ces projets soulignent l’importance de garantir un accès équitable au sport pour les femmes et montrent comment le sport peut agir comme un catalyseur pour leur égalité et autonomisation.

 

  • Rencontrez-vous beaucoup de projets qui utilisent le sport comme outil de lutte contre les inégalités de genre ?

Oui, l’AFD rencontre et soutient de nombreux projets qui utilisent le sport comme un outil efficace de lutte contre les inégalités de genre. Depuis 2019, l’ensemble des projets financés dans le secteur du sport et développement ont pour objectif principal ou secondaire de réduire les inégalités de genre. Ces projets visent à promouvoir l’égalité des genres à travers le sport en facilitant l’accès des filles et des femmes à la pratique sportive et en luttant contre les stéréotypes de genre. L’Agence reconnaît le sport non seulement comme un moyen de développement personnel et communautaire mais aussi comme un vecteur puissant d’émancipation et d’autonomisation des femmes et des filles.

L’approche de l’AFD englobe le renforcement de l’accessibilité aux infrastructures sportives de proximité pour les filles et les femmes, en veillant à ce que ces infrastructures soient adaptées et accessibles. Cela inclut la prise en compte du genre dans les projets de construction ou de rénovation d’infrastructures sportives, en s’assurant de l’existence d’équipements et d’activités adaptés aux femmes ainsi que de la levée des barrières sociales et économiques à leur participation.

L’AFD travaille également à accompagner les acteurs du mouvement sportif vers une meilleure prise en compte des enjeux liés au genre, incluant la formation de cadres techniques féminins et l’intégration de modules de sensibilisation aux enjeux de genre dans les formations destinées au mouvement sportif. En outre, elle s’engage dans le dialogue sur les politiques publiques pour promouvoir l’égalité d’accès au monde sportif, lutter contre les stéréotypes de genre et prévenir toute forme de violence basée sur le genre dans le sport. Des initiatives concrètes, telles que le soutien au projet « Pour Elles – Sport et Culture » en République Démocratique du Congo et des partenariats avec des organisations sportives internationales et des athlètes engagés, illustrent l’engagement de l’AFD dans la lutte contre les inégalités de genre par le sport. Ces projets et collaborations mettent en évidence l’importance de l’accès équitable au sport pour les femmes et démontrent comment le sport peut servir de catalyseur pour l’égalité et l’autonomisation des femmes à l’échelle mondiale.

 

  • Comment sont vécus ces projets par les bénéficiaires ? Qu’en retirent-ils ?

Les projets utilisant le sport comme moyen de lutte contre les inégalités de genre, sont perçus de manière positive par leurs bénéficiaires, apportant des changements profonds et variés dans leur vie. L’expérience acquise à travers des initiatives telles qu’Alley-oop Africa et BoxGirls Kenya, entre autres, révèle l’efficacité du sport non seulement en tant que moyen d’autonomisation des femmes et des filles, mais également comme un outil puissant de transformation sociale et communautaire.

Alley-oop Africa

Le projet Alley-oop Africa, co-financé par l’AFD et la Basketball Africa League (BAL), illustre la capacité du sport, combinée à l’edutainment, à sensibiliser efficacement les jeunes aux Objectifs de Développement Durable (ODD), en mettant particulièrement l’accent sur l’égalité des genres et la santé. En engageant des jeunes filles et garçons dans une compétition alliant basketball et projets de développement durable, cette initiative vise :
 Sensibiliser une audience de plus de 120 millions de téléspectateurs sur des thématiques essentielles telles que la santé et l’égalité femmes-hommes.
 Valoriser la pratique sportive des femmes et des filles et encourager l’émergence d’un écosystème local de développement par le sport.
 Mettre en lumière le dynamisme et le potentiel des jeunes dans le domaine du « sport et développement ».

BoxGirls Kenya

Le soutien de l’AFD à BoxGirls Kenya a pour objectif de renforcer la santé physique et mentale des jeunes filles au Kenya par la pratique de la boxe, en offrant à ces dernières un espace pour développer leur confiance en soi et s’engager dans des discussions sur des sujets souvent considérés comme tabous. Les retombées de ce projet incluent :
 Une amélioration significative des compétences d’autodéfense chez les jeunes filles participantes.
 Une sensibilisation accrue au sein des communautés sur des questions clés telles que la santé mentale, l’égalité de genre, et la lutte contre les stéréotypes et tabous sexuels.
 La mise en place d’un programme de leadership et de mentorat pour 50 filles, favorisant leur autonomisation et la réalisation de 20 mini-projets communautaires.
Les témoignages des bénéficiaires de ces projets mettent en avant des changements significatifs non seulement sur le plan personnel – à travers le développement de la confiance en soi et des compétences de vie – mais aussi sur le plan communautaire, par la remise en question des normes de genre et la promotion d’un dialogue constructif sur des enjeux sociétaux majeurs. Ces initiatives démontrent le potentiel du sport à servir de catalyseur pour l’égalité des genres, le développement durable, et le renforcement du lien social.

 

  • Quel impact les JO de Paris auront-ils sur ces projets ?

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 seront les premiers Jeux Olympiques paritaires. Ainsi ils offrent une opportunité unique de valoriser l’engagement de l’AFD et de la France aux côtés des autorités locales, de ses partenaires du mouvement sportif et de la société civile pour faire du sport un puissant outil au service de la réduction des inégalités de genre.

Dans cette perspective, l’AFD envisage de promouvoir, dans le cadre de sa stratégie de communication pour 2024, des initiatives mettant l’accent sur le sport comme moyen de promouvoir l’égalité de genre. Par ailleurs, l’agence s’engage à appuyer cette cause en prenant part à des événements organisés en préparation des Jeux, qui placent l’égalité de genre au premier plan de leurs préoccupations. L’AFD intensifiera également ses efforts pour mobiliser les acteurs du mouvement sportif et les institutions de financement du développement, notamment au sein de la coalition « Sustainable Development through Sport ». Cette initiative vise à encourager davantage d’investissements, tant publics que privés, dans le sport comme moyen d’atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD), en particulier l’ODD 5 qui concerne l’égalité de genre.

Enfin, l’agence s’emploiera à mobiliser des ressources financières et à obtenir des cofinancements de la part de partenaires externes pour des projets qui intègrent l’égalité de genre au cœur de leur démarche sportive, témoignant ainsi de l’importance accordée à cette cause dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

 

 

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