Interview de Halimata Fofana – Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines

3 février 2023

Halimata Fofana est une écrivaine et réalisatrice franco-sénégalaise, engagée contre les mutilations sexuelles féminines. Elle a grandi en France, tout en étant très proche de la culture de ses parents sénégalais. En 2015, elle publie son premier roman Mariama l’écorchée vive qui brise le tabou de l’excision dont elle a été victime à 5 ans lors d’un voyage familial au Sénégal. En 2022, elle publie son second roman À l’ombre de la cité Rimbaud aux Editions du Rocher. Ce livre est un récit bouleversant qui interroge sur la situation de nombreuses jeunes filles tiraillées entre deux cultures, deux territoires et deux avenirs. C’est aussi un témoignage qui permet de revenir sur le traumatisme de l’excision et ses conséquences.

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©Halimata Fofana

L’excision est une pratique qui dépasse le contrôle physique du corps des femmes : c’est un contrôle également symbolique et psychique.

  • Comment expliquez-vous la pratique de l’excision ?

Les raisons qui expliquent cette pratique sont doubles : tout d’abord, la volonté d’exercer un contrôle absolu des corps des femmes, c’est notamment pour cela que cette pratique concerne en majorité les bébés et les petites filles. La deuxième raison est la sacralisation de la virginité des femmes et l’importance d’éviter la maternité hors mariage.

L’excision est une pratique qui dépasse le contrôle physique du corps des femmes : c’est un contrôle également symbolique et psychique. Cet aspect est souvent oublié quand on évoque l’excision et c’est pour cela que la terminologie de « réparer les femmes » excisées, issue du milieu médical, ne convient pas. La réparation physique ne doit pas être considérée comme une fin en soi et encore moins comme la seule et unique solution. Certaines femmes ont besoin de prendre ce chemin, d’autres non, tout dépend de la personne.

 

  • Dans le monde, une petite fille est excisée toutes les 4 minutes. En France, on estime à 125 000 le nombre de femmes concernées par l’excision, dont 3 sur 10 qui sont excisées dans leur pays d’origine. Et pourtant, il existe peu de de témoignages comme le vôtre. Comment l’expliquez-vous ?

Le tabou du corps de la femme, de sa sexualité, de son sexe est très fort et existe dans toutes les sociétés. Les victimes le comprennent de manière implicite et savent qu’il ne faut pas en parler. Et souvent elles ont honte de ce qu’elles ont subi, comme très souvent les victimes de violences sexuelles.

Ce qui me frappe, depuis que j’ai sorti mon livre, ce sont tous les messages que je reçois. Elles m’écrivent car elles ont sans doute la sensation que l’ayant moi-même subi, je suis en mesure d’entendre leur parole. A mon époque, je ne savais pas non plus où frapper. Il est fréquent d’être réorienté vers des associations. Je constate que des femmes comme moi et comme beaucoup d’autres, qui sommes françaises, qui avons fait des études supérieures, nous ne nous y retrouvons pas dans ces associations. Les femmes qui y vont sont des femmes africaines, qui n’ont pas le même parcours.

C’est aussi très compliqué de parler d’une problématique comme celle-ci car elle concerne la sphère familiale ce qui renforce le tabou. C’est très complexe et difficile, et malgré tout on aime nos parents. Il ne faut pas oublier que lorsque les mères excisent les jeunes filles, elles pensent le faire pour le bien de leurs filles et elles l’ont-elles-mêmes déjà subi. C’est quelque chose qui se transmet de génération en génération.

Je veux néanmoins insister sur un point : le tabou n’est pas seulement chez les victimes. Il est également dans les médias qui craignent qu’on stigmatise certaines populations, il est chez les enseignants qui ne signalent pas les filles à risques et les victimes. Lorsque j’ai été excisée, et que je suis retournée à l’école en marchant très difficilement, pas un seul enseignant m’a demandée ce que j’avais.

Le tabou est également chez les médecins et les sage-femmes. Par exemple, parmi les nouvelles générations qui arrivent d’Afrique de l’Est, plus de 86 % des femmes ont subi une excision. Pour ces communautés, il s’agit de couper le clitoris et les petites lèvres et coudre les grandes lèvres. Seule reste une petite ouverture pour les règles et l’urine. Au moment où ces femmes accouchent en Occident, certaines demandent aux médecins de les recoudre. Or il est évident que si une femme demande à être recousue, ses filles sont en danger. Et pourtant, rares sont les professionnels qui abordent le sujet ou qui font des signalements.

 

  • Comment avez-vous réussi à briser ce tabou ?

C’est grâce à l’école. Et c’est d’ailleurs ce qui nous différencie de nos mères. Nous avons appris à remettre en question et à remettre en cause. J’ai fait des études littéraires, je lis énormément et on ne peut pas me demander de m’assoir quelque part et me dire que quelqu’un va réfléchir pour moi. Nos parents, eux, ont quitté l’Afrique et étaient dans l’urgence pour survivre. Quand on part comme cela, ce qui nous reste est la culture. Et généralement, ceux qui sont partis y sont davantage attachés que ceux qui sont restés.

 

  • Quelles sont les bonnes pratiques à mettre en place pour lutter contre l’excision ?

Je sais qu’en Belgique, une campagne de sensibilisation sur l’excision et le mariage forcé est en train d’être montée, à destination de différentes sphères : les professionnels de la santé, les enseignants, les éducateurs. Je pense que c’est une bonne pratique et qu’il est important de sensibiliser tous ceux qui peuvent être en contact avec des victimes.

En France c’est très compliqué. En 2019, Marlène Schiappa a lancé un plan contre l’excision mais il existe déjà une loi française qui interdit toute mutilation. Quand on discute dans les familles, on réalise que ce ne sont pas les lois ou les plans qui vont changer les choses. On change les choses pas à pas, au quotidien. Il faut des cours d’alphabétisation, des cours de cuisine, pour que les femmes sortent de leur quotidien et qu’elles rencontrent d’autres femmes, des femmes différentes. C’est essentiel parce que cela leur permet de pouvoir s’exprimer en leur nom. Dans nos familles, l’individu n’existe pas, c’est le collectif qui prime.

En tant qu’anciennes victimes, nous avons également une responsabilité. Nous devons briser le tabou et parler à nos mères. Ne pas parler, c’est participer.

 

  • Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Souvent on me demande comment j’ai survécu. Je parle souvent de puits de lumière. C’est beaucoup grâce à la beauté des choses que j’ai avancée. Lire de la poésie, aller à la comédie française, regarder des immeubles haussmanniens, écouter Céline Dion. C’est très important d’avoir de la beauté dans sa vie.

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