Interview de Fatima Le Griguer – Au cœur d’une unité médicale spécialisée dans les violences conjugales, sexuelles et intrafamiliales

20 novembre 2023

Fatima Le Griguer est psychologue, fondatrice et coordinatrice de l’USAP (Unité spécialisée d’accompagnement du psychotraumatisme). Ce lieu est destiné au soin et à la reconstruction des personnes exposées aux violences conjugales, violences sexuelles, intrafamiliales...
A l’occasion du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, elle a répondu aux questions de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici.

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  • Vous avez créé en 2016 l’USAP (Unité spécialisée d’accompagnement du psychotraumatisme), spécialisée dans l’accompagnement des victimes exposées aux violences conjugales, violences sexuelles et intrafamiliales. Pouvez-vous présenter cette unité ? Comment et pourquoi l’avoir créée ?

Cette unité a été créée en tant qu’unité fonctionnelle d’un établissement hospitalier rattaché à la psychiatrie adulte en 2007. J’ai exercé l’accueil des victimes de violences aux urgences de 2002 à 2014, où j’ai été confrontée à l’accueil des victimes. Il m’a semblé important de développer des outils de dépistage des violences conjugales pour accompagner les victimes, organiser des débriefings et proposer des thérapies particulières. J’ai dû me former à des thérapies et travailler avec un large réseau pluridisciplinaire, une nécessité absolue.

Ainsi est née l’idée de créer une unité fonctionnelle à l’hôpital, étendue ensuite au groupement hospitalier. Aujourd’hui, nous sommes présents dans trois hôpitaux : Aulnay, Montreuil et Montfermeil. Nous accompagnons les victimes de violences concernées par un psycho-trauma, majoritairement des femmes à 89 %, mais aussi environ 11 % d’hommes. Nous recevons principalement des victimes de violences conjugales, violences intrafamiliales et violences sexuelles. Nous prenons également en charge les deuils traumatiques, la souffrance au travail, les agressions, les accidents de la route et les catastrophes collectives.

En 2016, nous avons créé cette unité avec une psychologue et une secrétaire. Nous voulions l’élargir et avons candidaté à l’appel à projet sur le développement des centres régionaux de psycho-trauma. Nous avons été labellisés comme centre régional de psycho-trauma Paris Nord avec Avicenne. Nous intervenons géographiquement sur les départements 95, 77 et 93 et toute la région pour ce qui concerne les violences faites aux femmes.

Depuis  avril 2020, nous avons mis en place une permanence juridique puis une permanence policière avec des policiers formés recueillant les plaintes des personnes victimes à l’USAP.

En termes de prise en charge, nous avons une double articulation. L’une est immédiate ou pt immédiate en tant qu’unité liaison, interagissant avec les autres services. Chaque psychologue a une plage horaire d’urgence prévue dans la semaine. Les services de l’hôpital nous contactent pour accueillir une victime pour une première prise en charge, évaluant la situation de la personne. Nous avons une démarche de protection et de conscientisation des violences faites aux femmes, envisageant l’hospitalisation si nécessaire, notamment pour femmes avec enfants.

Notre second axe de prise en charge davantage pour des traumas anciens consiste à organiser des thérapies centrées sur la régulation émotionnelle, par exemple avec l’emdr (Eye Movment Desentization Reprocessing), l’hypnose ou les TCC. L’objectif est de raccrocher des images traumatiques à des émotions particulières ainsi qu’ à un ressenti corporel. Ces thérapies sont individuelles et recommandées par l’OMS.

Nous avons également développé différents groupes de parole au sein de l’unité : deux sur les violences conjugales, un axé sur les violences intrafamiliales, un autre sur les violences sexuelles, ainsi que des groupes sur les deuils et la souffrance au travail.

 

  • Pouvez-vous nous présenter le parcours d’une victime, de son arrivée à sa sortie de l’unité ? En quoi ce parcours est-t-il adapté aux besoins des victimes ?

Nous proposons divers ateliers, tels que des ateliers psychosensoriels combinant l’hypnose de groupe avec des médias artistiques, comme la peinture et l’argile, pour explorer des émotions spécifiques. L’argile permet de travailler le sens du toucher en associant des émotions à des réalisations sculpturales, tandis que la peinture utilise des couleurs pour représenter des émotions, par exemple, le noir et le rouge pour la colère. Ces ateliers mixtes favorisent la socialisation et le développement des compétences sociales, aidant les femmes victimes de violences à gagner en confiance et en estime de soi.

Certains de nos collègues coaniment des ateliers avec des intervenants extérieurs, tels que la sophrologie ou des approches psychocorporelles. Nous proposons également un atelier socio-esthétique dirigé par une esthéticienne et un psychologue pour travailler sur l’image corporelle et l’estime de soi à travers des soins, des massages, du maquillage et des coiffures. Nous avons l’intention d’ouvrir prochainement un atelier de coaching en image pour aborder la posture et le style vestimentaire, notamment pour les entretiens d’embauche.

De plus, nous offrons un atelier de boxe thérapie pour aider les patients à exprimer des émotions difficiles à verbaliser et à renforcer leur maîtrise de soi. L’objectif de tous ces ateliers est d’armer les patients d’outils pour une utilisation autonome dans leur vie quotidienne et leur insertion professionnelle.

Nos prises en charge débutent généralement à 16/17 ans, en particulier pour les jeunes filles impliquées dans la prostitution des mineures, qui participent fréquemment aux groupes de parole sur les violences sexuelles. La durée de la prise en charge varie en fonction de la problématique. Les traumatismes simples, comme les agressions de rue, nécessitent généralement une ou deux séances pour un rétablissement rapide. Cependant, pour les violences intrafamiliales, les violences conjugales ou les violences sexuelles répétées, les traumatismes sont plus profondément enracinés, demandant des thérapies individuelles et collectives pour traiter tous les aspects du traumatisme.

Dans certains cas, des comorbidités antidépressives compliquent la prise en charge, nécessitant une stabilisation préalable avant d’entamer une thérapie. Nous adaptons notre approche en fonction de la situation, proposant différentes techniques thérapeutiques comme avec  l’emd-r. Notre objectif est d’adapter la prise en charge pour chaque individu.

 

  • Quels sont vos constats sur les violences conjugales, sexuelles et intrafamiliales en France ?

Même si généralement on parle surtout de violences conjugales, les violences intrafamiliales concernent aussi les enfants et les violences que peuvent subir les mères par leurs enfants. Nous avons de plus en plus de situations où l’on rencontre des femmes vivant la violence de leurs enfants ou vivent ces violences à un âge avancé. Après avoir vécu la violence du mari, elles vivent aussi celles des enfants.

Concernant les violences sexuelles nous pouvons remarquer que depuis #Metoo, la parole s’est libérée mais l’accompagnement des victimes est difficile, les structures de soins ne sont pas assez nombreuses, à la fois pour les violences sexuelles et conjugales mais aussi intrafamiliales.

La plupart des professionnels de santé ne sont pas suffisamment formés, à la fois sur le psycho-trauma et sur les mécanismes en jeu dans les violences conjugales et intrafamiliale. De plus, pour travailler sur ces questions là il faut mobiliser un réseau, ce qui n’est actuellement pas le cas. Beaucoup de gens travaillent en vase clos et n’ont pas forcément d’échange avec d’autres professionnels.

De plus, financièrement ces acteurs ne sont pas assez soutenus. Par exemple moi j’ai ouvert une association dont je suis la Présidente et qui va nous aider à justement avoir un budget de fonctionnement pour les animations des groupes et pour faire intervenir des gens de l’extérieur. Dernièrement, nous avons organisé un séjour thérapeutique qui a pu être mis en route grâce à l’association. Nous manquons de financement pour pouvoir créer de nouveaux postes et pour donner des sous pour organiser des prises en charge.

Je pense aussi que la prévention n’est pas assez efficace, les professionnels ne sont pas assez formés. Il y a donc beaucoup de choses à faire.

  •  Selon vous, comment la justice pourrait davantage protéger les victimes de violences ?

Il est crucial de préparer les victime à l’éventualité d’un classement sans suite, car cela peut avoir un impact traumatisant sur les victimes, les privant de reconnaissance et sapant leur confiance en la justice. Pour pallier cela, nous cherchons des méthodes alternatives, telles que les groupes de parole, qui permettent aux victimes de se sentir moins seules en rencontrant d’autres femmes ayant vécu des expériences similaires.

Le classement sans suite dans les affaires de violences sexuelles est éprouvant sur le plan émotionnel. Il nécessite une préparation pour un éventuel procès ou une décision judiciaire. Certaines femmes envisagent d’abandonner, mais nous les encourageons à prendre une pause, à suivre des séances de reconstruction avant de décider de poursuivre.

On constate néanmoins des améliorations dans les procédures de dépôt de plainte, notamment grâce au développement d’espaces de rencontre dans les hôpitaux, favorisant la communication entre la police et les victimes.

Cependant, en ce qui concerne le traitement des situations de violence, il persiste une asymétrie, où la parole de la victime est confrontée à celle de l’agresseur. Les agresseurs ont souvent plus de ressources pour se défendre, tandis que les victimes, souvent en difficulté financière, ont du mal à accéder à une défense adéquate. Pour remédier à cela, nous travaillons sur la constitution d’une liste d’avocats spécialisés dans l’accompagnement des victimes, facilitant ainsi leur accès à la justice.

La formation du personnel judiciaire est une nécessité absolue. Il est essentiel de comprendre les impacts du contrôle coercitif sur la santé physique et mentale des victimes. Ignorer les signaux que présentent les victimes, comme des symptômes sur leur santé ou des troubles cognitifs, peut être préjudiciable. Les victimes peuvent se sentir accablées et angoissées, tandis que les agresseurs conservent leur contrôle. Une compréhension plus approfondie des traumatismes est cruciale pour une justice équitable.

J’ai notamment fait partie du groupe de travail de justice lors du Grenelle, avec le groupe d’Isabelle Rome qui a beaucoup travaillé sur la question de l’emprise. Je fais partie aussi du CNVIF, le comité national des violences intrafamiliales, où là aussi, il y a une réflexion sur la prise en charge des violences. Dans ce cadre, j’anime des journées aussi pour sensibiliser un maximum les professionnels. Nous avons, entre autres, convié des professionnels de la justice à cette journée qui aura lieu le 16 novembre. La démarche, c’est de mener une réflexion pluridisciplinaire sur ces sujets-là pour faire avancer les prises en charge.

 

 

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