Interview d’Anne Barre – Retour sur la COP27

12 décembre 2022

Anne Barre coordonne la politique genre et climat du réseau WECF - Women Engage for a Common Future, ONG écoféministe, membre de la Constituante Femmes et Genre de la Convention Climat qui défend les droits des femmes et la justice de genre dans la mise en œuvre de l’accord de Paris. Engagée depuis 20 ans au sein du réseau WECF, Anne a contribué à la réalisation de nombreux projets de terrain dans les domaines de l’accès à l’eau, de l’agriculture et de l’énergie durables, de la santé environnementale. Elle a fondé en 2008 l’antenne française de WECF, qu’elle a présidé pendant 8 ans. Depuis la COP21, Anne coordonne l’organisation du Prix Solutions Genre et Climat, qui valorise et soutient la mise à l’échelle d’initiatives exemplaires démontrant la nécessité d’intégrer pleinement la justice de genre dans les politiques climatiques nationales et globales.

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  • Quel est votre retour global sur la COP27 ?

Cette COP se déroulait sur le continent africain, un continent qui fait face aujourd’hui à de multiples crises de grande ampleur : une crise climatique frappant de plein fouet des pays et des populations qui contribuent pourtant le moins aux émissions mondiales ; il y a aussi les crises économiques et sociales, issues de la pandémie de COVID-19 avec des confinements imposés qui ont gravement affecté les plus pauvres, notamment les femmes, vivant majoritairement de revenus informels, et confrontées à des violences sexistes accrues. Enfin, le continent est plongé dans une crise énergétique majeure alimentée par les conflits, en particulier la guerre que la Russie a déclaré à l’Ukraine.

Dans ce contexte, il était essentiel que la communauté internationale donne la priorité aux besoins de cette région, et reconnaisse les demandes des femmes et des jeunes filles africaines, en tant qu’actrices de la lutte contre le dérèglement climatique.

Dans ce sens nous pouvons dire que le résultat positif essentiel de la COP27 est la décision d’établir un fonds sur les pertes et dommages, afin de compenser financièrement les pays les plus pauvres qui font face à des dégâts irréversibles dus aux catastrophes climatiques et aux impacts de long terme. Nous pouvons aussi saluer les avancées sur la gouvernance et l’opérationnalisation du mécanisme d’assistance lié aux pertes et dommages. Un nouveau conseil consultatif sera mis en place, dans lequel les représentant.e.s des groupes observateurs Femmes et Genre, des Peuples Autochtones et des Jeunes pourront siéger.

Cependant, nous sommes très déçues par le manque de volonté politique des dirigeants mondiaux en matière d’atténuation climatique. En effet, cette COP n’a pas permis d’obtenir un engagement sur l’élimination progressive des énergies fossiles, alors que la science, le GIEC, ne cesse de nous alerter sur l’augmentation des émissions de CO2 à l’échelle de la planète. Les chefs d’États, comme de mauvais médecins, se focalisent sur les pansements sans apporter de remède au mal.

En revanche, plus de 600 lobbyistes des industries fossiles et du nucléaire ont arpenté les couloirs de la COP, pour promouvoir leurs fausses solutions. Ainsi la presse a recensé une vingtaine d’accords climaticides sur le pétrole et le gaz qui ont été signés pendant la conférence.

 

  • En matière de genre et climat, quelles sont les avancées ? Les points d’attention ?

La révision du Plan d’Action Genre de l’Accord de Paris, qui a donné lieu à d’âpres négociations, n’a été approuvée que dans les dernières heures de la COP, mais elle n’apporte aucune avancée majeure. Cette décision ne contient aucune proposition concrète pour répondre aux conséquences de la pandémie de Covid-19, qui a frappé beaucoup plus durement les femmes et les minorités de genre, comme le démontrent plusieurs rapports des Nations Unies. Le texte ne répond pas non plus aux impacts genrés de la guerre en Ukraine, ou de la flambée des prix alimentaires qui en résulte, ni du recul flagrant des droits des femmes dans le monde.

Pire, à Charm-El-Sheikh, les voix des femmes locales et autochtones ont été ignorées, alors que nous nous étions battues à Madrid en 2019 pour qu’elles soient intégrées dans ce plan d’action genre. En outre, de nombreuses femmes ont été confrontées à des discriminations raciales, à de la surveillance, du harcèlement et des intimidations tout au long de la COP, depuis le processus de demande de visa jusqu’au dernier jour de leur participation à la conférence. Comment assurer une participation équitable de la société civile dans ces conditions ?

Or, nous sommes allées à Charm-El-Cheikh pour porter des demandes claires et mettre en avant de nombreuses solutions de terrain qui sont des preuves tangibles que la justice climatique est possible. Les lauréates du Prix Solutions Genre et Climat que nous avons célébrées cette année à la COP27 mettent au défi les systèmes patriarcaux en apportant des solutions innovantes et transformatives qui valorisent le soin et le bien vivre. Par exemple en Inde, Bhavia George, avec la Fondation Keystone relie les savoirs ancestraux et la science moderne pour la protection des écosystèmes ; au Pakistan, Javed Hussain s’engage avec la Sindh Community Foundation  pour renforcer les droits des cueilleuses de coton dans des régions rurales très impactées par la hausse des températures et les sécheresses, et enfin au Togo, Delali Adjeje accompagne 50 productrices de karité dans la transition énergétique de leur process de fabrication en renforçant leur modèle entrepreneurial coopératif, démocratique et inclusif.

Nous avions également invité à la COP27 l’ensemble des lauréat.e.s qui ont remporté le Prix Solutions Genre et Climat depuis 2015, cela représente plus de 20 personnes qui ont pu rencontrer des décideur·ses politiques ainsi que des bailleurs de fonds et participé à de nombreux événements officiels et sur des pavillons, afin de faire reconnaître leur expertise et leur action. Nous avons présenté les projets FAREDEIC au Maroc, FEDIAAC au Sénégal et REGAIN au Cameroun, Colombie et RDC, aujourd’hui mis en œuvre par WECF avec une partie de nos lauréates grâce au co-financement de l’Agence Française de Développement, et tout récemment aussi de la Fondation RAJA, qui sont issus des Solutions Genre et Climat.

Ainsi, la directrice d’ENDA Colombia, Maria Victoria Bojaca Penagos, a présenté l’action des femmes récupératrices de déchets de Bogota, qui contribuent à la politique climatique de la ville tout en renforçant l’économie solidaire et circulaire de leurs quartiers.

 

  • Quelle est votre analyse de la mobilisation de la société civile féministe ?

Cette mobilisation était très forte. La Constituante Femmes et Genre a porté la voix des féministes africaines à la COP27, venues en nombre pour crier haut et fort leurs revendications : notamment la nécessité de renforcer la participation équitable des femmes aux processus de décisions à tous les niveaux, l’urgence de soutenir une transition juste et équitable pour tou.te.s et de sortir des énergies fossiles, le besoin d’accéder à des financements adéquats, centrés sur les droits humains. Elles demandent aussi la réalisation de leurs droits fonciers afin de pouvoir protéger leurs forêts et leurs terres ; l’intégration des savoirs ancestraux détenus par les peuples et les femmes autochtones, afin qu’ils puissent être sauvegardés en tant que solutions climatiques essentielles.

Chaque jour à Charm-El-Cheikh, nous avons manifesté contre les discours néocoloniaux sur les modèles de développement importés et les solutions technologiques risquées telles que le captage et le stockage du carbone, ou encore la compensation « nette zéro » qui impacte les territoires autochtones sans avoir pu démontrer un bénéfice réel en terme de réduction des émissions. Au sein du nouveau programme de 5 ans relatif au développement et transfert de technologies climat – adopté et lancé à la COP27, nous avons réussi à renforcer la place et l’expertise des femmes, des peuples autochtones et des jeunes, à travers la valorisation de leurs savoirs et de leurs actions.

 

  • Comment permettre à la société civile de préparer la COP28 ?

Nous ne pouvons pas accepter que les COP deviennent des « foires commerciales » où l’on vient négocier des contrats juteux, au détriment de décisions ambitieuses qui doivent permettre aux populations d’affronter le cataclysme climatique qui nous attend.

C’est pourquoi les organisations de la société civile, en particulier les membres des groupes observateurs des jeunes, peuples autochtones, femmes et genre, syndicats, et les organisations environnementales se sont unies à Charm-El Cheikh pour présenter ensemble le 18 novembre lors de la Plénière des Peuples une déclaration des peuples pour la justice climatique. La cérémonie qui se déroulait dans l’une des grandes salles plénières du centre de conférence, débutait ainsi « Nous sommes tous connectés, humains et non-humains… tout est sacré et ce qui a été créé ne peut faire partie d’un marché. La nature est la vie ».

Pour nous préparer à la COP28, nous allons poursuivre et amplifier cette mobilisation collective, aussi bien sur le terrain, en renforçant les actions climatiques féministes mises en œuvre avec nos partenaires, et en favorisant les échanges d’expérience au sein des puissants réseaux dont nous sommes membres. Nous serons présentes aussi dans la gouvernance mondiale, en poursuivant notre implication dans tous les processus politiques nationaux et internationaux -notamment onusiens- liés à la convention climatique, à l’agenda 2030 des ODD, aux droits des femmes et à l’égalité de genre.

Nous comptons sur le soutien des acteurs de la philanthropie qui se sont engagés à renforcer les moyens de la société civile qui agit concrètement et quotidiennement pour la justice climatique.

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