Alice Apostoly est la co-fondatrice et co-directrice de l'Institut du Genre en Géopolitique. Elle est spécialiste de la diplomatie féministe et des enjeux de genre à l'international.
Le masculinisme est un ensemble de mouvements qui se constituent en Occident dans les années 80 pour défendre ce qui serait le droit des hommes dans une société qu’ils estiment désormais dominée par les femmes. Cela regroupe beaucoup de mouvements, de groupes et de formations diverses. L’idée est de retourner la rhétorique féministe pour y apposer des théories de crise de l a masculinité. Cela se traduit par un travail de lobbyisme vers les médias et des personnalités politiques.
La théorie de la crise de la masculinité vise à consolider cette certitude d’un statut de victime des hommes. C’est ce qui est à l’œuvre depuis #metoo où les masculinistes tentent d’asseoir l’idée qu’ils n’auraient plus le droit d’entreprendre des techniques de séduction au risque d’être dénoncés comme des agresseurs. C’est également l’idée que les femmes sont favorisées dans le mariage, dans le divorce et dans la garde des enfants. C’est un discours victimaire pour justifier une rhétorique et des discours misogynes. Il est difficile de donner une définition unique parce que ces mouvements masculinistes peuvent se retrouver dans différents cadres spatio-temporels. Il y en a en Afrique de l’Ouest, en Asie, les cibles peuvent être différentes, ainsi que les rhétoriques, parfois religieuses, parfois culturelles. Néanmoins les attaques menées sont relativement similaires, notamment sur le droit à l’avortement, le cadre législatif autour des violences sexistes et sexuelles et tout ce qui touche aux droits sexuels et reproductifs.
Les idées principales qui trouvent échos dans ces mouvements sont liées à la défense de la famille nucléaire hétérosexuelle qui est censée être un modèle de société qu’il faut défendre. C’est également le positionnement contre le libre choix des personnes à disposer de leur corps comme ils l’entendent, des rôles de genre bien définis et exclusifs. La femme doit faire ça, l’homme ça. C’est un discours binaire et sexiste de la division des tâches et des rôles genrés. Cela va, par extension, conduire à un mépris pour l’homosexualité voire une haine des LGBTI, un patriotisme anti-immigratoire et une position climato-sceptique.
Quand on parle du discours masculiniste, c’est dans un premier temps la haine des femmes, la haine de la communauté LGBTI et tout ce qui relève d’une libéralisation.
Parmi nos réflexions, on a étudié la porosité idéologique entre ces mouvements masculinistes et des partis politiques ultra-conservateurs avec des positionnements racistes, climato-sceptiques, militaristes et extrêmement libéraux.
Ce que nous avons montré avec notre rapport Contrer les discours masculinistes en ligne, c’est la responsabilité des entreprises de la « Big tech » qui fournissent ces plateformes de forum en ligne, blogs et réseaux sociaux où les discours masculinistes se développent. La responsabilité est à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, on va parler de discrimination technologique c’est-à-dire de l’idée d’un entre soi social dans la création et dans la production d’outils de ces plateformes. On estime que 80 % des programmateurs en Europe sont des hommes. Dans les entreprises de la « Big tech », les femmes ne représentent que 24 % des effectifs. Cet entre-soi va créer des biais sexistes, racistes, LGBTIphobes dans la gestion et le fonctionnement des entreprises, ainsi que dans les outils qu’elles créent. Par exemple, Chatbot a eu des discours misogynes remplis de clichés, il y a des stéréotypes en matière de ciblage publicitaire pour Facebook.
Un autre point qu’on a mis en avant, concerne la nécessité d’améliorer le travail de modération sur les réseaux sociaux.
D’un côté, il est assumé par des algorithmes informatiques, baisés et imprécis à cause de la discrimination technologique. De l’autre, les moyens alloués manquent cruellement. La troisième chose que l’on met en avant, c’est le fonctionnement des algorithmes par reproduction et suggestion. C’est-à-dire que pour un centre d’intérêt qui serait typiquement masculin, on va lui proposer du contenu qui statistiquement devrait lui pl aire. Ce sont généralement des contenus d’influenceurs très virils à travers, par exemple, les jeux vidéo ou soit le sport. Finalement c’est un système de vase clos, peut déboucher sur des contenus ouvertement misogynes et discriminatoires. C’est comme ça que certaines communautés sont très ouvertement gangrénées.
Enfin, nous soulignons que la marchandisation des contenus et des données est un frein à la régulation des contenus haineux produits par les masculinistes et garantit leur développement. Les discours de haine deviennent ainsi viraux puis fédèrent et génèrent du chiffre pour les plateformes.
Le masculinisme étant un ensemble de mouvements, il est difficile de dire s’il y a des actions concrètes ou des initiatives. Néanmoins, régulièrement, ils mènent des actions de cyberviolence.
L’idée est de décrédibiliser, humilier, voire détruire les victimes qui sont principalement des femmes et des personnes âgées.
Ces attaques entraînent des conséquences graves sur la santé mentale, la vie personnelle, professionnelle et familiale des victimes. Les auteurs peuvent également publier en ligne des données comme l’adresse et le numéro de téléphone. Cela peut mener à des intimidations physiques, des visites au domicile… Il y a aussi eu des mouvements de violence masculiniste, revendiqués par une communauté masculiniste : les incels. Je pense notamment aux tueries qu’il y a eu à Montréal en 1989, en Californie en 2014, à Toronto en 2018, au Royaume-Uni en 2021. Ces mouvements fomentent une haine ayant des conséquences concrètes sur la sécurité de leurs cibles mais également sur la sécurité nationale.
Notre rapport présente 5 axes thématiques comprenant une quarantaine de recommandations clés en mail.
1. Renforcer l’arsenal juridique politique et assumer un fort soutien financier en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les violences en ligne font partie d’un continuum de violence. Ce continuum démarre dans la vraie vie et se perpétue dans l’espace numérique. Il faut intégrer cette lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les politiques publiques du numérique. Cela implique de surveiller, réguler, tenir responsable les entreprises de l a tech de leur modération.
2. Soutenir les organes de régulation européens, et mettre en place des sanctions envers les Etats membres qui ne respecteraient par les lois, notamment le Digital Service Act.
3. Réguler les multinationales et demander une vraie transparence et une collaboration avec les pouvoirs publics.
4. Soutenir et protéger les associations et activistes féministes et LGBTI. Ce sont elles qui font le travail d’alerte, de prévention, de plaidoyer, et d’accompagnement des victimes. Pour l’instant, c’est grâce à ces associations que cette lutte existe.
5. Finalement, sensibiliser les citoyens et citoyennes non seulement à ces discours masculinistes, mais aussi leur donner des moyens de se défendre et notamment se défendre face au au cyber-harcèlement, aux cyberviolences.