Éducation des filles : 3 questions à Marine Fourié

17 septembre 2019

Chaque année, le mois de septembre remet le thème de l’accès à l’éducation pour tou.te.s au cœur de l’actualité. Nous avons interrogé Marine Fourié, Directrice exécutive de l'association Futur au Présent, sur les enjeux de l'éducation des filles en Afrique subsaharienne.


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3 QUESTIONS À MARINE FOURIÉ

 

Marine Fourié est Directrice exécutive de l’association Futur au Présent qui a créé, en 2014, la Maison de l’Éducation au Sénégal dans le quartier de Kandé, où sont situées 4 écoles.

Dispositif complémentaire de l’école publique, la Maison de l’Éducation accueille et accompagne chaque année une nouvelle promotion de 90 filles issues des familles les plus pauvres afin de les sortir du travail précoce et de permettre leur autonomisation. Cette maison propose un suivi psychosocial pour les jeunes filles, des modules de soutien scolaire, un suivi pédagogique et des actions de sensibilisation sur l’égalité femmes-hommes, ainsi que des actions de médiation auprès de leurs parents. Ce projet est soutenu par la Fondation RAJA-Danièle Marcovici.

 

 

Quels sont les enjeux de l’éducation des filles aujourd’hui, en particulier en Afrique subsaharienne?

Selon notre expérience sur le terrain auprès de familles très défavorisées, deux enjeux principaux affectent l’éducation des filles aujourd’hui : c’est à la fois l’accès et le maintien à l’école.

Le premier enjeu est lié au fait qu’au Sénégal, l’école publique n’est pas gratuite, puisque des frais d’inscription sont demandés aux parents. Ce ne sont pas des grosses sommes, environ 3000 FCFA par enfant, ce qui revient à environ 5 euros. Mais pour des familles démunies et avec plusieurs enfants, ces frais sont bien souvent la raison de la non scolarisation, notamment des filles. En effet, lorsqu’il faut choisir entre deux enfants lequel sera scolarisé, la préférence est systématiquement donnée au garçon.

Le deuxième enjeu concerne le maintien des filles à l’école et la poursuite de leurs études. On remarque qu’au Sénégal, dans les classes de niveau élémentaire il y a autant de filles que de garçons. Cependant cette tendance s’inverse à partir du lycée et s’accentue à l’université, où il y a bien plus de garçons que de filles. Un des enjeux est donc de permettre aux filles de ne pas abandonner précocement les études. Trop souvent leur scolarité est arrêtée pour privilégier la construction d’une famille.

 

Quels sont les principaux freins à l’éducation pour toutes ?

Le premier frein est assez technique : il concerne la question des extraits de naissance. Si ce sujet est souvent méconnu, il a une réelle incidence sur la scolarisation. Dans différents pays d’Afrique de l’Ouest, et en particulier dans les milieux les plus pauvres, beaucoup d’enfants n’ont pas d’extrait de naissance, c’est à dire qu’ils n’ont pas été déclarés à la naissance et qu’ils ne disposent donc d’aucune pièce ou document justifiant de leur identité. Au Sénégal, les enfants peuvent être scolarisés sans ces documents d’identité, cependant il leur est impossible de continuer leurs études au-delà du CM2. En effet, le passage au collège est conditionné par l’obtention d’un examen national en fin de CM2, examen requérant la présentation d’une pièce d’identité. Sans extrait de naissance, il est impossible de s’inscrire à l’épreuve, et donc impossible d’entrer au collège.

Le deuxième frein relève davantage des croyances : on constate en effet que bien souvent, les familles les plus démunies ne croient pas en l’école. Pour eux, leurs enfants ne peuvent pas y réussir car eux-mêmes, en tant que parents, dans la plupart des cas analphabètes, n’ont pas les moyens financiers et intellectuels nécessaires d’encadrer leurs enfants dans leur parcours scolaire. Ainsi, soit les parents renoncent dès le départ à scolariser leur enfant, soit ils le retirent de l’école s’ils voient qu’il ne parvient pas à avoir de bons résultats. Ce phénomène de déscolarisation affecte en particulier les filles, qui cumulent scolarisation et travail domestique : puisqu’elles ne peuvent se consacrer pleinement à l’école, elles prennent du retard, accusent de mauvaises notes et sont vite retirées de l’école.

 

Comment répondez-vous à ce frein? Quelles sont les solutions à cet obstacle?

Futur Au Présent développe depuis 2014 un programme appelé Maison de l’Education (MDE), dont le but est d’accompagner les filles issues de familles défavorisées et auparavant en situation de travail précoce dans leur scolarisation et leur autonomisation. Le but est de leur donner les moyens de réussir à l’école, et ainsi de contrer les croyances évoquées précédemment.

On constate en effet que la plupart des filles prises en charge, arrivées au sein du programme non-alphabétisées, sont au bout d’un an en tête de classe à l’école publique. Leurs parents voient alors qu’il est possible pour elles de réussir : elles font la fierté de leur famille, qui n’envisagent plus de les retirer de l’école et souhaitent même les voir continuer à l’université. A travers ce programme, Futur Au Présent mène également des actions de sensibilisation pour que les familles comprennent que leurs filles peuvent accéder à des études supérieures, avoir des métiers à responsabilités, et ainsi construire une famille sortie de la grande pauvreté.

Pour garantir la scolarisation effective de ces filles issues de familles très démunies, il est aussi fondamental de fournir un appui aux familles, pour que l’argent ne soit pas un frein. Futur Au Présent prend donc en charge les frais d’inscription ainsi que le matériel scolaire. De même, puisque l’absence de documents d’état civil est une véritable barrière dès le CM2, nous menons des actions de sensibilisation et d’information sur ces questions.

En bref, pour agir pour l’éducation des filles, il nous semble important de mettre en place une démarche globale, qui met la réussite des filles au centre et qui lève toutes les barrières à cette réussite, en embarquant les familles dans cette dynamique.

 

>> Pour lire notre article complet sur l’éducation des filles, cliquez ici.

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