Interview de Bouchera Azzouz – L’insertion professionnelle des femmes dans les Quartiers Prioritaires de la Ville

13 décembre 2022

Militante féministe, Bouchera Azzouz est réalisatrice et essayiste originaire de Bobigny. A travers ses écrits et ses films, elle interroge la question de l’identité, l’intégration, la citoyenneté, autant que des luttes systémiques pour l’égalité et l’émancipation des femmes. Elle est secrétaire générale du mouvement Ni Putes Ni Soumises de 2007 à 2009, puis fonde son propre mouvement, le « Féminisme Populaire ». Elle concentre alors son action sur le programme d’accompagnement à l’autonomie des Femmes (le PAAF) mais aussi un travail de plaidoyer politique. Elle est engagée auprès des femmes des quartiers populaires, convaincue qu’elles sont un vecteur puissant de la transformation des quartiers, mais aussi porteuses d’un féminisme « populaire », un féminisme d’urgence, un féminisme à l’arrache, pragmatique et solidaire. Pour en faire la démonstration, elle écrit et réalise une série de 3 documentaires qui constituent une trilogie, explorant la genèse du féminisme populaire, Nos Mères Nos Daronnes, On nous appelait beurettes et Meufs de (LA) Cité.

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Dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), quels constats faites-vous de l’insertion professionnelle des femmes ? 

Les femmes des quartiers populaires sont longtemps restées à l’angle mort des politiques publiques de façon générale, et en particulier sur le sujet de l’émancipation économique. Au mieux cantonnées aux prestations sociales, il a fallu batailler et faire avancer le sujet de l’égalité, pour que petit à petit, les femmes soient considérées comme désireuses et porteuses de dynamiques d’émancipation, les poussant à prendre pleinement leur place en dehors de la sphère privée et familiale dans laquelle elles ont été maintenues.

Les chiffres sont éloquents sur le sujet et les femmes habitantes de quartiers prioritaires de la ville (QPV) sont confrontées à davantage de difficultés d’insertion professionnelle. Le taux de chômage des habitantes de QPV est 2,6 fois supérieur à celui des femmes des autres quartiers.

« Les femmes vivant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) subissent une double inégalité, à la fois territoriale et sexuée. Face à l’emploi, elles sont en effet dans une situation moins favorable que les hommes vivant dans les QPV et que les femmes des unités urbaines environnantes. C’est pourquoi il est indispensable de mener des actions favorisant l’insertion professionnelle des femmes résidant en QPV. La mobilisation, l’investissement et la coordination du plus grand nombre est indispensable pour faciliter l’accès à l’emploi de ces femmes. » (Préfet de la Région d’Ile de France, Communiqué de presse Paris, le 19 février 2018).

 

Quels sont les principaux freins que ces femmes rencontrent ? 

Les femmes des QPV cumulent une double voire triple discrimination due à leur situation de femme, de personne vivant dans des conditions socio-économiques difficiles et étant souvent d’origine étrangère. A cela s’ajoute les difficultés de garde d’enfants, de transport, le rôle attribué aux femmes et aux hommes : les pressions s’exercent, entre autres, par la situation matrimoniale, les femmes vivant en couple ayant une probabilité inférieure d’avoir un travail rémunéré ou d’en rechercher, pour s’occuper du foyer. En conséquence, quand elles travaillent, elles doivent intégrer la charge familiale qui leur reste dévolue. Se mettre en situation d’employabilité est un véritable parcours du combattant en raison de l’accès complexe aux informations et aux possibilités d’emploi. Le manque de confiance et l’estime de soi, peut aussi être un frein dans la mobilisation sur un projet professionnel.

 

Comment favoriser leur insertion professionnelle ? 

Favoriser l’insertion professionnelle des femmes est d’abord une nécessité. On ne peut pas prôner l’égalité femmes hommes, sans avoir une attention majeure au sujet de l’émancipation des femmes et des moyens qui leur sont donnés eu égard aux difficultés et freins inhérents du fait même qu’elles soient des femmes. On doit également porter et poursuivre un plaidoyer fort en faveur de l’émancipation économique des femmes. L’expérience acquise au travers de nos programmes d’accompagnement à l’autonomie des femmes, me pousse aujourd’hui à prôner l’implantation dans chaque commune de tiers lieux totalement dédiés à ce sujet. Des lieux capables d’appréhender les femmes et leur projet de manière globale, pour donner les moyens à chacune de dépasser les freins multiples qui les maintiennent dans des poches de pauvreté ou d’exclusion de l’emploi.

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