Sophie Pouget est directrice exécutive de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici, avec pour mission de développer les activités de levée de fonds et de plaidoyer de la Fondation. Depuis 2021, elle est également juge assesseure à la Cour nationale du droit d’asile, nommée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Auparavant, elle a coordonné les activités de plaidoyer et de partenariat du Forum Génération Égalité pour ONU Femmes France.
Jusqu’en 2017, elle a travaillé au sein du Groupe de la Banque mondiale à Washington DC, où elle a coordonné des projets dédiés à la réduction de la pauvreté et au développement économique. Ancienne avocate au barreau de Paris, Sophie Pouget est diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Paris et de la Fletcher School of Law and Diplomacy (Université Tufts, États-Unis). Elle a reçu en 2018 le prix Henri Leclerc des droits de l’homme du barreau de Paris, récompensant son engagement en faveur de la défense des droits fondamentaux dans le nord de la France.
Elle nous en dit plus sur l’une des priorités de la Fondation : prévenir les violences faites aux femmes et aux filles.
Sophie Pouget, vous êtes directrice exécutive de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici. Quelles sont les actions et soutiens emblématiques de la Fondation ?
La Fondation RAJA-Danièle Marcovici œuvre pour l’autonomisation des femmes et des filles. Créée en 2006 par Danièle Kapel-Marcovici, présidente-directrice générale du Groupe RAJA, la Fondation soutient des projets à but non lucratif en France et dans le monde entier. Ses actions s’articulent autour de quatre axes : la prévention des violences faites aux femmes et aux filles, l’éducation et le leadership, l’insertion professionnelle et les droits économiques des femmes, ainsi que les actions des femmes en faveur de l’environnement. Cela nous a permis d’accompagner de nombreux acteurs engagés.
Par exemple, la Maison des Femmes de Saint-Denis, qui propose une prise en charge globale des femmes victimes de violences ; Rêv’Elles, qui aide les jeunes filles à s’affirmer et à renforcer leur leadership ; le Centre Primo Lévi, qui accompagne les femmes migrantes victimes de violences ; ou encore, dans un registre très différent, le Chemin des Fleurs, qui offre à des femmes en très grande précarité l’opportunité de se former à l’horticulture.
Vous êtes engagée depuis plusieurs années dans la défense des droits des femmes, notamment au sein d’ONU Femmes. Quelle est la capacité d’une fondation à influencer et à agir sur ces enjeux d’égalité de genre ?
Nous agissons principalement par le cofinancement de projets associatifs. Depuis 2006, nous avons pu soutenir plus de 600 projets, au bénéfice direct de plus de 150 000 femmes en Afrique, en Amérique latine, en Asie et en Europe, pour un budget global supérieur à 13 millions d’euros. C’est essentiel, car la question du financement est l’une des principales revendications des associations féministes. Ces associations disposent d’une réelle expertise sur l’égalité de genre, mais elles manquent de moyens et sont structurellement sous-financées.
Trop peu de bailleurs considèrent l’égalité femmes-hommes comme une priorité. Nous faisons partie de la quarantaine de fondations abritées par la Fondation de France dédiées à cette cause. Sur plus de 900 fondations, c’est insuffisant !
Nous agissons également à travers le plaidoyer, notamment sur la prévention des violences faites aux femmes et aux filles. Nous travaillons aussi à la promotion de l’action des femmes pour l’environnement. À ce titre, la Fondation participe à plusieurs coalitions. Elle a rejoint la Coalition française des fondations pour le climat, lancée en novembre 2020 par le Centre français des fonds et fondations, qui rassemble 141 signataires engagés dans la lutte contre le changement climatique. Elle est aussi membre de la Coalition d’action pour une justice climatique féministe, créée dans le cadre du Forum Génération Égalité en 2021 sous l’égide d’ONU Femmes.
Tous ces engagements nous permettent de travailler aux côtés de différents acteurs mobilisés pour les droits des femmes. Grâce aux échanges que nous menons avec les organisations de terrain que nous soutenons en France et à l’international, nous pouvons mobiliser, informer et sensibiliser d’autres types d’acteurs, au sein de la philanthropie française et européenne ou d’institutions publiques telles que le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, les régions, etc.
Le 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, l’Université de la Terre se tiendra au siège de l’UNESCO. Vous participerez à une table ronde sur le thème “Mettre fin aux violences faites aux femmes”. Quelles solutions peuvent être envisagées, notamment en France ?
Harcèlement, agressions sexuelles, mutilations génitales féminines : les violences faites aux femmes et aux filles prennent de multiples formes. Pour en mesurer le coût et mieux les combattre, il est indispensable de disposer d’une connaissance précise de leur ampleur et de leur nature. Favoriser le partage d’expertise et l’échange d’expériences constitue un levier majeur pour améliorer l’efficacité des actions sur le terrain et renforcer la diffusion des bonnes pratiques.
La table ronde que nous organisons vise à encourager ce type d’échanges, avec la participation d’associations en première ligne dans l’accompagnement des femmes, réalisant de véritables missions de service public. Par exemple, le 3919 – numéro national de référence pour les femmes victimes de violences – est né d’un partenariat entre la Fédération Nationale Solidarité Femmes et l’État.
Les experts réunis pourront témoigner du fait que la prise en charge des femmes victimes de violences doit être globale : écoute, suivi psychologique, logement, santé, emploi, et accompagnement juridique.
Tous ces aspects doivent être pris en compte pour permettre aux femmes de se reconstruire durablement. La formation des acteurs médicaux et sociaux est essentielle pour réagir de manière adaptée et accompagner ces femmes de la prise en charge jusqu’à la réinsertion. La formation et la spécialisation des magistrats sont également importantes, tout comme celles des forces de l’ordre. Enfin, il ne faut pas négliger les actions de prévention, qui sont fondamentales : l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons est un levier clé pour transformer les mentalités et les comportements.
D’autres pays peuvent aussi inspirer des avancées. En Espagne, depuis 2004, la loi contre les violences de genre prévoit la création de tribunaux spécialisés ainsi qu’une aide juridique permettant aux victimes de changer d’identité et de bénéficier d’une meilleure protection contre leur agresseur. En Allemagne, depuis 2016, la notion de consentement repose sur l’expression manifeste de la volonté de la personne : autrement dit, ce qui n’est pas un “oui” est un “non”. Pourquoi ne pas s’en inspirer ?
Selon le collectif féministe #NousToutes, le nombre de féminicides augmente chaque année : 102 en 2020, 113 en 2021, et 98 depuis le début de 2022 (soit une mort tous les deux jours). Malgré la mobilisation de nombreuses associations et la large médiatisation de ces drames, comment expliquer cette persistance et cette hausse dramatique des féminicides dans notre pays ?
Il existe une défaillance dans la mise en œuvre des politiques publiques.
Certaines lois favorisent l’égalité femmes-hommes et la lutte contre les violences sexistes, mais leur application rencontre de réelles difficultés. Par exemple, depuis 2018, chaque lycée doit avoir une personne référente Égalité chargée d’informer et de lutter contre les violences faites aux femmes. Or, deux lycées sur trois n’en disposent pas. Pourtant, c’est à l’école que les stéréotypes de genre et les violences qu’ils engendrent peuvent être déconstruits. L’éducation joue un rôle majeur dans la lutte contre les violences de genre.
Les chiffres relatifs aux violences sexuelles touchant les jeunes sont alarmants : un jeune sur quatre déclare avoir déjà eu des rapports non consentis ; un quart des 18-24 ans estime qu’une femme peut éprouver du plaisir à être contrainte à un rapport sexuel ; une jeune femme sur cinq est victime de pornodivulgation. Pourtant, les mesures concrètes restent limitées : seulement trois séances d’éducation à la sexualité sont proposées aux élèves tout au long de leur scolarité, sur les vingt et une prévues par la loi Aubry. C’est sur ce constat que le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes a appelé à un plan d’urgence pour l’égalité à l’école à la rentrée 2022, incitant le ministère de l’Éducation nationale à faire de la sensibilisation à la sexualité une priorité.
Le sujet des violences faites aux femmes est trop souvent perçu comme un problème isolé : il faut démontrer qu’il s’agit d’un enjeu transversal qui dépasse la sphère privée. C’est une question de société qui concerne autant les femmes que les hommes, et de manière égale.