La Vague est une association créée par Nathalie Gautier et Adeline Toullier qui a pour but de renforcer les capacités et les compétences des organisations de terrain manquant de moyens. Elle soutient ainsi des associations et ONG françaises œuvrant notamment pour les droits des femmes, l’égalité de genre et la santé reproductive.
Fondation RAJA-Danièle Marcovici (FRDM) : La Vague est une association de défense des droits des femmes, de lutte contre les violences sexistes et sexuelles et de promotion de l’égalité de genre. En tant que fondatrice de l’association, pouvez-vous nous expliquer les actions que vous menez pour répondre à ces problématiques ?
Nathalie Gautier) (N.G). : La Vague c’est une association que j’ai cofondée avec Adeline Touquet en tout début 2022, suite à un audit des besoins du secteur des associations droits des femmes. Ce qu’il y a d’unique chez La Vague, c’est que ce n’est pas une association de terrain, mais une association qui a pour but de renforcer l’influence et les capacités des organisations de terrain existantes œuvrant en France, notamment pour les droits des femmes, l’égalité de genre, la santé reproductive, etc. Donc nous venons en soutien, nous accompagnons ces organisations à travers le transfert de nos compétences et de notre expertise acquise dans d’autres secteurs. Le constat que nous avons fait, c’est que les associations de terrain manquent de moyens et donc peu de compétences professionnelles internes. En plaidoyer et en communication, elles n’ont quasiment pas de ressource humaine dédiée. Ce sont souvent les présidentes ou les directrices générales qui s’en occupent. Donc La Vague répond ainsi à ce besoin d’accompagnement et de conseil expert pour renforcer et de développer les stratégies d’influence des associations de terrain, les faire travailler ensemble en créant des collectifs, et harmoniser leur communication pour accroître leur visibilité et leur influence auprès des pouvoirs publics.
Concernant les droits des femmes, nous avons créé un collectif d’associations qui a travaillé sur la directive européenne de lutte contre les violences domestiques, sexistes et sexuelles pour faire des amendements et les porter collectivement aux décideurs et décideuses. En ce moment, nous avons un collectif qui travaille sur l’évaluation de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul en France, et qui a rédigé un rapport d’une centaine de pages qui comprend les constats, les analyses et les recommandations de la société civile française, et qui est disponible sur le site du Conseil de l’Europe. Ce collectif continue de travailler sur la promotion de la Convention d’Istanbul auprès des professionnels du droit, car elle est encore trop peu connue et appliquée.
Et il y a deux ans, suite au constat que la loi Aubry de 2001 concernant l’éducation à la vie affective et sexuelle n’est en réalité pas appliquée, nous avons constitué un collectif qui a produit le Livre Blanc comportant les 56 recommandations pour une véritable éducation à la vie affective et sexuelle, et qui a été présenté au Sénat en novembre 2023. Ce collectif ne rassemble pas que le monde associatif mais également des syndicats de l’éducation nationale, c’est-à-dire du personnel éducatif, des infirmiers et infirmières scolaires, des directeurs et directrices d’établissements scolaires, etc. On a aussi le syndicat lycéen et des parents d’élèves qui nous ont rejoint. C’est vraiment la spécificité de La Vague : on part d’un enjeu qu’on veut faire avancer et on réunit les forces vives.
FRDM : En 2001, la loi Aubry rendait pour la première fois l’éducation sexuelle obligatoire à l’école, au collège et au lycée. Elle prévoyait 3 séances annuelles à partir du CP dans le but de “promouvoir la santé sexuelle chez les jeunes”. Depuis 2018, la présence d’un “référent égalité” est obligatoire dans tous les lycées. Cependant, selon l’UNICEF France, en 2020, 65 % des 15-19 ans déclarent n’avoir eu aucune séance au cours de l’année scolaire précédente. De plus, 7 jeunes femmes sur 10 indiquent que la notion de consentement n’a pas été abordée durant leur scolarité. Enfin, plus de deux lycées sur trois n’ont jamais nommé de “référent égalité”. Sauriez-vous nous donner les raisons de ce manque d’effectivité dans la mise en place de la loi Aubry de 2001 concernant l’éducation à la sexualité ?
N.G. : En effet, il n’y a que 15% des élèves en France qui ont leur 3 séances d’éducation à la vie affective et sexuelle par an. Le principal problème est qu’il n’y a pas de programme en tant que tel, c’est-à-dire que ça toujours été quelque chose en plus, fait sur la base du volontariat des infirmiers, infirmières scolaires, des professeur.es de SVT ou autres. Mais le problème est que le personnel enseignant n’est pas formé pour cela. On va parler d’anatomie, de biologie, de contraception, des IST, mais pas de la notion de consentement, d’égalité de genre, ou des violences sexistes et sexuelles.
Il faudrait que tous les élèves aient la chance d’avoir des interventions de leurs enseignants formés à ce sujet, mais aussi de l’extérieur avec des associations spécialisées sur les thématiques plus sensibles à aborder concernant la vie affective et sexuelle. Mais il y a manque évident de moyens mis en place par l’Etat et les établissements scolaires. Aujourd’hui, la structure qui intervient le plus est le Planning familial, mais elle refuse autant d’interventions qu’elle en fait du fait du manque de budget. Beaucoup d’associations interviennent également bénévolement, ce qui ne devrait pas être le cas. Ce qu’il faut, c’est une solide coordination nationale et départementale, avec un programme unifié pour tous les élèves, un vrai budget consolidé sur l’éducation de la vie affective et sexuelle, et une communication nationale à ce sujet. Il faudrait également recruter plus d’infirmiers et infirmières scolaires, pour que les élèves puissent avoir un véritable accompagnement sur ces questions.
FRDM : Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle défendu par le gouvernement, a officiellement reçu le soutien du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) qui s’est prononcé pour à l’unanimité, jeudi 30 janvier. Cette décision est considérée par beaucoup comme une belle avancée en matière d’éducation à la sexualité et à l’égalité à l’école. Comment garantir une mise en œuvre efficace de ce programme ? Quelles actions menez-vous, en collaboration avec d’autres associations féministes, pour en assurer l’application ?
N.G. : Dans un premier temps, la création d’un collectif pour faire des recommandations pour une véritable éducation à la vie affective et sexuelle a été une étape majeure. Elles ont fortement inspiré le contenu du programme d’Espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Nous avons aussi évalué le budget qui serait nécessaire pour la mise en place des moyens que j’ai évoqué tout à l’heure, et nous sommes arrivés à une enveloppe de 620 millions d’euros par an. Cela fait 52 euros par élève par an, ce qui n’est pas énorme en soi. C’est juste qu’il y a beaucoup de monde. Mais on nous rabâche sans arrêt que nous sommes dans une période budgétaire compliquée et qu’il y a un déficit. Donc cela risque de demander beaucoup d’efforts pour faire appliquer les mesures. Pour cela, nous demandons des rendez-vous avec des députés, des membres du Ministère de l’Education nationale, et autres décideurs et décideuses. En tant que collectif, cela a plus d’impact et d’influence que si nous étions divisées. Nous faisons aussi de la communication dans les médias pour que cela devienne un réel enjeu public. Par ailleurs, quand je dis “nous”, ce n’est pas La Vague mais les associations de terrain réunies en collectif.
Maintenant que le programme EVARS a été approuvé par le CSE, il y a de grandes qu’il passe et qu’il soit officiellement publié. La question qui reste en suspens est celle des moyens qui vont être alloués. Et pour ça, on va continuer de se battre pour qu’ils soient à la hauteur de l’enjeu.
FRDM : Afin de lutter contre la “théorie de genre” (perception nuancée des différences entre les sexes) qui contribuerait à “politiser l’école” avec des idées jugées trop progressistes, l’association d’extrême droite “Parents vigilants” fondée par Eric Zemmour prend de l’ampleur. Quel est le risque, selon vous, d’un tel réseau pour l’éducation à la sexualité et à l’égalité à l’école ?
N.G. : Ce réseau qui impacte déjà. Vous posiez la question des raisons qui empêchent la mise en place de l’EVARS, eh bien c’en est une. Ils attaquent les associations, s’en prennent aux enseignants, ont énormément de visibilité et propagent de fausses informations.
Pour lutter contre tout cela, on aimerait également pousser pour faire des webinaires avec les parents d’élèves notamment, pour leur expliquer l’importance de l’EVARS et déconstruire les idées reçues qu’ils pourraient avoir. Nous aimerions également faire une campagne de communication digitale et aussi mettre des affichages sur l’EVARS dans les établissements, mais encore une fois, ce qui manque sont les financements.
Pour revenir aux mouvements d’extrême-droite et de droite conservatrice, je veux aussi dire qu’il faut beaucoup de courage politique pour aller à l’encontre de ces mouvements-là, et pour l’instant ça n’a pas été le cas. Par exemple, il y a eu l’ABCD de l’Egalité qui avait été publié en 2013 par Najat Vallaud-Belkacem quand elle était Ministre de l’Education, afin de lutter contre les stéréotypes de genre. Mais ce programme a été abandonné en 2014, notamment sous la pression de ces mouvements. Ils ne sont pourtant pas très nombreux, mais extrêmement bruyants, car très bien soutenus, notamment par les médias. Ils obtiennent donc une sorte de légitimité qui est supposée par leur présence récurrente sur les plateaux télé et dans les journaux. Ces mouvements sont également bien plus financés, et ce sont souvent des financements internationaux avec des mécènes privés.
Et ces mouvements conservateurs qui se mobilisent contre l’EVARS sont les mêmes que ceux qui se sont mobilisés contre le mariage pour tous, par exemple. Donc on voit bien qu’ils ont une organisation solide et des moyens financiers importants, notamment concernant la communication et le plaidoyer, ce qui les rend difficile à combattre et à contredire.
En tout cas, le soutien officiel du Conseil supérieur de l’éducation au programme EVARS est une belle victoire, et nous allons continuer là-dessus. Nous allons continuer à nous mobiliser collectivement, à sensibiliser, à pousser pour avoir plus de moyens, et à encourager les décideurs et décideuses à avoir une volonté politique plus forte pour que ce programme soit bel et bien appliqué.