À l’âge de 8 ans, Fatou Baldeh MBE est victime d’une mutilation génitale féminine. Après plusieurs années d'activisme au Royaume-Uni pour lesquelles elle reçoit le titre honorifique de Membre de l'Empire britannique (MBE), elle retourne en Gambie pour y fonder l’association Women in Liberation & Leadership (WILL). Depuis 2018, WILL lutte pour mettre fin à toute forme de violence faites aux femmes et aux filles, et en particulier aux MGF. En 2024, Fatou Baldeh reçoit le Prix international des droits de la femme 2024, lors du Sommet de Genève pour les droits de l'homme et la démocratie.
Fondation RAJA-DAnièle Marcovici (FRDM) : Fatou, pouvez-vous nous expliquer ce qu’on appelle « mutilation génitale féminine » ou « MGF » et pourquoi est-ce pratiqué ?
Fatou Baldeh (FB) : Je suis vraiment heureuse d’avoir cet échange, car comme vous le savez, nous avons reçu le soutien de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici en Gambie, et ce projet a eu un impact immense pour tenter de maintenir l’interdiction des MGF ici en Gambie. Je suis donc très ravie et je voulais vous remercier une fois de plus avant de commencer.
« Je suis une survivante des mutilations génitales féminines. »
Les MGF, mutilations génitales féminines, sont définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins pour des raisons non médicales.
L’OMS a identifié différents types de MGF :
Dans certains pays, au lieu de couper les lèvres, ils les tirent et étirent dès le plus jeune âge. Cela s’appelle l’élongation.
FRDM : Quelles sont les conséquences de ces pratiques pour les filles et les femmes ? En particulier en Gambie, où 75 % des filles et femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi une forme de MGF, selon l’UNFPA.
F.B : Les MGF entraînent des complications à court et à long terme. En Gambie, les femmes âgées utilisent un objet tranchant comme un couteau, des ciseaux ou une lame de rasoir pour couper les organes génitaux.
L’un des problèmes majeurs est que la plupart des femmes qui pratiquent les MGF ne connaissent pas l’anatomie. Elles peuvent donc couper n’importe quoi, ce qui peut entraîner des hémorragies graves pouvant mener à la mort. Il y a également un risque d’infection car aucune médication n’est administrée après la coupe. Beaucoup de filles développent ainsi des infections. De plus, en raison de la douleur, elles retiennent leur urine, ce qui peut aggraver ces infections.
Par ailleurs, les outils utilisés pour couper sont souvent partagés entre plusieurs filles, augmentant ainsi le risque de transmission de maladies comme le VIH.Les complications à long terme incluent, par exemple, des douleurs menstruelles intenses et des infections récurrentes, particulièrement pour les femmes ayant subi une MGF de type 3, car leur sang menstruel ne peut pas s’écouler correctement. La sexualité est également affectée, ce qui est l’un des objectifs de la MGF. De plus, lors des grossesses et accouchements, de nombreuses complications apparaissent, comme un travail prolongé.
Les conséquences ne sont pas uniquement physiques, mais aussi psychologiques. Les MGF sont une expérience très traumatisante. Plus tard, lors des relations sexuelles avec leur compagnon, cela reste une expérience douloureuse et beaucoup développent un stress post-traumatique. Il faut aussi souligner que les conséquences varient selon le type de MGF subi.
FRDM : Qui pratique les MGF sur les filles ? Et pourquoi ?
F.B : L’ironie des MGF est que ce sont généralement les femmes qui les pratiquent. En Gambie, cette pratique est tellement normalisée que les femmes grandissent en pensant qu’elle est nécessaire pour être propre et pure, et qu’elle est une obligation pour le mariage. Beaucoup pensent également qu’il s’agit d’une obligation religieuse, ce qui est faux.
Une explication à cela est que les femmes gambiennes, n’ayant que très peu de responsabilités sociétales, tiennent fermement à ce contrôle qu’elles exercent sur les MGF. De plus, elles n’ont pas souvent l’opportunité de parler et d’être informées des complications de santé qu’elles subissent. Enfin, les MGF sont perçues comme un rite de passage transmis de génération en génération : ma grand-mère l’a fait, ma mère l’a fait, alors je dois le faire aussi. Donc les MGF sont très normalisées en Gambie.
FRDM : Un des objectifs de développement durable des Nations Unies est d’éliminer les mutilations génitales féminines d’ici à 2030. Mais en 2024, plus de 230 millions de filles et de femmes ont subi des mutilations génitales féminines, ce qui représente 15 % de plus qu’il y a 8 ans, d’après les données de l’Unicef. Pourquoi, selon vous, la progression vers cet objectif est-elle si lente ?
F.B : Les MGF sont une pratique ancestrale enracinée dans les normes sociales et culturelles. C’est un héritage culturel.
Ce que je pense c’est que pour progresser, il est essentiel d’amplifier les voix des survivantes. Ce combat doit être mené par des Africaines, car beaucoup perçoivent l’interdiction des MGF comme une imposition de l’Occident. Je suis une survivante des MGF, et j’ai appris leurs conséquences à l’université au Royaume-Uni. J’ai ainsi pu arrêter cette pratique dans ma famille. De nombreux jeunes, hommes et femmes, agissent aussi dans ce sens.
Il est aussi crucial d’inclure les hommes et les garçons dans la lutte contre les MGF, car ils jouent un rôle essentiel. Beaucoup de mères pratiquent les MGF en pensant que leurs filles ne pourront pas se marier autrement. Il est donc important que des hommes prennent la parole pour dire qu’ils refusent cette mutilation.
Les droits reproductifs régressent à l’échelle mondiale, mais les MGF affectent les filles africaines de façon disproportionnée. Pourtant, l’ONU peine à en faire une priorité, craignant d’offenser les traditions locales. Mais nous parlons de jeunes filles qui se font couper à vif. Les mutilations génitales féminines constituent une violation grave des droits de l’homme et doivent être traitées comme telles.
FRDM : Que faudrait-il changer ? Que manque-t-il pour progresser vers l’éradication de cette pratique, en particulier en Gambie ?
F.B : Il nous faut des ressources, des échanges et du partage d’expérience avec des pays comme le Kenya et la Tanzanie, où la prévalence des MGF a drastiquement baissé. Qu’est-ce que ces personnes font mieux que nous ? Que pouvons-nous apprendre d’eux ? Mais, faute de ressources, nous ne pouvons pas nous rendre, par exemple, au Kenya pour apprendre ou inviter des gens ici à partager leurs connaissances. Nous avons besoin de partenariats et de programmes d’échange au niveau des collèges et des universités pour entrer en contact avec des pays qui dispensent une éducation sexuelle plus holistique. Mais aujourd’hui, nous n’avons ni la capacité ni le financement.
Nous devons aussi aider les femmes qui vivent de la pratique des MGF à trouver d’autres sources de revenus. Beaucoup continuent cette pratique pour subvenir aux besoins de leur famille. Par ailleurs, la lutte contre les grossesses précoces est indispensable, car beaucoup de femmes craignent que leurs filles tombent enceintes si elles ne sont pas coupées.
Les MGF ne sont pas un problème isolé. Pour moi, il s’agit de la plus grande manifestation de l’inégalité entre les sexes et de la plus grande manifestation de violence à l’encontre des femmes et des filles.
Qu’est-ce qui fait que nos sociétés accordent si peu de valeur aux femmes qu’elles doivent les soumettre à de telles pratiques ? Pourquoi une société estime-t-elle qu’il faille couper les organes génitaux d’une fille pour qu’elle devienne une femme ?
Nous devons donc avoir ces conversations et donner aux femmes et aux filles les moyens de comprendre leur corps et leurs droits, et de savoir comment se protéger.
FRDM : Pour adresser les violences faites aux femmes et aux filles, votre association WILL dispose d’un Programme de Justice de Genre. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?
F.B : Nous sommes une organisation dirigée par des survivantes de MGF et nous luttons contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, et au cœur de cette lutte se trouve la question de la violence sexuelle et sexiste, qui inclut les MGF. Nous travaillons avec les communautés pour les sensibiliser à cette pratique et mettre fin au tabou.
Nous sensibilisons et travaillons avec des professionnels de la santé pour qu’ils sachent comment les MGF affectent les femmes, en particulier pendant la grossesse et l’accouchement, afin qu’elles reçoivent le soutien adéquat pendant cette période.
Nous travaillons également avec les chefs religieux pour informer sur l’idée fausse selon laquelle les MGF sont une obligation religieuse. Nous travaillons également avec les décideurs politiques et essayons de mobiliser les membres du parlement. Une autre chose qui me tient à cœur, c’est de plaider pour que davantage de femmes siègent au Parlement et participent à la prise de décision.
Notre organisation contribue également à créer des espaces sûrs pour les jeunes femmes dans le pays, afin de fournir un environnement leur permettant de s’informer sur les MGF, les mariages d’enfants, les menstruations, la pauvreté et toutes les questions associées aux problèmes de santé reproductive qui affectent les femmes et les filles en Gambie.
Une dernière chose que je voudrais dire, c’est que les mutilations génitales féminines ne sont pas quelque chose d’irréversible. Si vous n’excisez pas une fille lorsqu’elle grandit, elle n’excisera pas ses futures filles.
Si une fille est épargnée, toute une génération est sauvée.