Mardi 1er avril, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi portée par les députées Marie-Charlotte Garin (Les Ecologistes) et Véronique Riotton (Ensemble) visant à inscrire le « non-consentement » dans la définition actuelle du viol. L’objectif : « donner un outil supplémentaire aux juges » dans les affaires de violences sexuelles. Adoptée par 161 voix contre 56, la proposition de loi doit désormais être examinée par le Sénat. Toutefois, elle suscite des débats dans l’espace public et ne fait pas l’unanimité.
Face au nombre de violences sexuelles, le système judiciaire ne suit pas.
La nécessité de faire évoluer la prise en charge judiciaire des plaintes pour violences sexuelles est sans appel : 86 % d’entre elles sont classées sans suite, un chiffre qui atteint 94 % dans les cas de viols, le plus souvent pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Par ailleurs, seules 6 % des victimes de violences sexuelles physiques portent plainte, souvent dissuadées par un sentiment d’inutilité ou la peur de ne pas être prises au sérieux.
Actuellement, le viol est défini par le Code pénal comme tout acte de pénétration sexuelle commis par « violence, contrainte, menace ou surprise ». En l’absence de preuves suffisantes pour établir l’un de ces quatre critères, les poursuites judiciaires deviennent impossibles, même si le juge est intimement convaincu de la culpabilité de l’agresseur.
Le « non-consentement » dans la loi : une solution à l’impunité.
Cette définition restrictive du viol limite la reconnaissance de nombreuses situations où le consentement libre et éclairé est absent. Par exemple, les cas où la victime est en état de sidération, d’inconscience ou d’emprise ne sont pas toujours couverts par les critères actuels. Une étude suédoise révèle pourtant que 70 % des victimes de viols sont en état de sidération (Möller, 2017), et donc en incapacité de se débattre, de crier, ou de dire « non ».
La proposition de loi s’inspire de modèles internationaux, notamment la Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014, qui précise que le consentement doit être « volontaire et exempt de toute contrainte ». En Europe, 19 pays, dont l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et la Suède, ont déjà intégré ce principe dans leur droit pénal, souvent en réponse à l’impunité des agresseurs dans certaines affaires de violences sexuelles.
En Suède, une réforme législative a suivi l’acquittement de trois hommes accusés d’avoir agressé sexuellement une adolescente, le juge considérant que la victime participait à cet acte sexuel avec un consentement implicite. Ce verdict a conduit à la création du mouvement FATTA, qui a milité pour que la loi reconnaisse qu’un acte sexuel sans consentement est un viol, aboutissant à une nouvelle loi en 2018.
En 2022, l’Espagne a adopté la loi « Solo sí es sí » (seul un oui est un oui) en réponse à l’affaire de « La Manada », un viol collectif survenu en 2016 lors des fêtes de San Fermín à Pampelune. Cinq hommes avaient violé une jeune femme de 18 ans, filmé leurs actes, et partagé les vidéos sur WhatsApp. Initialement condamnés à neuf ans de prison pour « abus sexuel », faute de preuve de violence, leur peine a été portée à 15 ans en 2019 après requalification en viol par la Cour suprême. Cette affaire a déclenché une mobilisation féministe massive et conduit à la réforme législative qui redéfinit le viol en Espagne, mettant au centre le consentement explicite et abolissant la distinction entre abus sexuel et agression sexuelle.Face au climat d’impunité des agresseurs, le critère explicite du « non-consentement » est perçu par beaucoup comme un outil judiciaire indispensable. Il permet de clarifier le cadre juridique, au-delà de la jurisprudence, et de faire du consentement la preuve centrale dans les affaires de violences sexuelles.
Une réforme controversée : un consentement à double tranchant.
Le code pénal français ne mentionne pas explicitement le consentement dans sa définition du viol, se concentrant sur la coercition (violence, contrainte, menace ou surprise). Cependant, comme le note la juriste féministe américaine Catharine MacKinnon, cette absence n’empêche pas le consentement d’être utilisé comme défense par les agresseurs, détournant l’attention des actes coercitifs. Dans Le Viol redéfini (éd. Flammarion, 2023), elle critique cette approche, affirmant que se focaliser sur le « oui » ou « non » des victimes dans des contextes de domination risque de légitimer des rapports imposés. Intégrer le consentement légalement pourrait, selon elle, renforcer une logique accusatoire envers les victimes plutôt que de questionner les actes des agresseurs.
Laurence Rossignol, sénatrice et ancienne ministre des Droits des femmes, est également mitigée. Lors de son intervention dans l’émission Ça vous regarde (LCP-Assemblée nationale)[1], elle souligne l’importance de préciser explicitement que la charge de la preuve du consentement incombe à l’agresseur. Autrement dit, c’est à lui de démontrer qu’il s’est assuré du consentement de la victime – tout au long du rapport – afin que ce ne soit pas à la victime de prouver son innocence.
Pour la sénatrice, l’ambiguïté sémantique du mot « consentement », qui signifie « donner son accord », pourrait également renforcer les stéréotypes de genre dans les relations sexuelles. Selon elle, cela risque de perpétuer une vision inégalitaire de la sexualité, où l’homme initie et propose, tandis que la femme accepte ou refuse.
La présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, préfère ainsi la qualification de « pénétration imposée » plutôt que de « non-consentie »[2], afin de souligner la véritable bataille : la violence masculine.
La réforme législative : une action politique encore insuffisante.
Dans un entretien avec Le Monde, Catharine MacKinnon affirme que « le consentement est le principal prétexte, légal et social, de ne rien faire contre les agressions sexuelles » (2023). Elle exprime la crainte que l’intégration du consentement dans la législation puisse être perçue comme une réponse suffisante aux revendications féministes, donnant l’illusion que les problèmes sont résolus. Cette vision pourrait conduire à une inertie politique, où le gouvernement estime avoir fait le nécessaire, alors que des enjeux cruciaux restent en suspens comme la réduction des délais de traitement des plaintes, le renforcement des moyens policiers et du système judiciaire, ou la formation des magistrats et avocats sur les questions de genre. Lutter efficacement contre les violences sexuelles requiert également une campagne de sensibilisation nationale impactante, notamment dans les écoles.
Au-delà du cadre juridique, le débat sur le consentement révèle des enjeux culturels profonds liés à la domination masculine et à la culture patriarcale. Le viol n’est pas seulement un acte sexuel non consenti ; il est souvent un acte de pouvoir et de domination dans une relation inégalitaire, où la notion même de consentement devient illusoire. Si la proposition de loi actuelle ouvre la voie à d’éventuelles avancées en matière de lutte contre les violences sexuelles, la justice se doit de rester vigilante quant à l’instrumentalisation possible du consentement, afin de – toujours – garantir la protection des victimes.
[1] Le mardi 21 janvier 2025, à l’occasion de la sortie du rapport sur la définition pénale du viol des députées Marie-Charlotte Garin (Les Ecologistes) et Véronique Riotton (Ensemble), Laurence Rossignol était invitée pour le Grand Débat sur le consentement, dans l’émission Ça vous regarde de la chaîne télévisée LCP-Assemblée nationale. Débat à retrouver en intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=Zz27WJk_JtA&t=17s
[2] Anne-Cécile Mailfert, lors de son intervention dans le programme radio En toute subjectivité du le 28 mars 2025 sur France Inter. A retrouver en intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=na9VNC6A-Nk